Les chevaliers du royaume
prédécesseur Alexandre III dans une bulle adressée en 1181 à toute la chrétienté à propos du petit roi lépreux : « Il n’y a pas de roi qui puisse gouverner cette terre. Baudouin, par exemple, qui tient les rênes du gouvernement, se trouve gravement flagellé par le juste châtiment de Dieu, au point qu’il a peine à supporter les continuels tourments de son propre corps. » Dieu lui-même n’a cessé de nous avertir. La lèpre de Baudouin était un signe. La perte du comté d’Édesse en était un premier. La prise de la Vraie Croix sera sans doute le dernier.
Josias ne fit aucun commentaire, mais cessa de regarder l’évêque de Préneste, auquel il ne supportait plus de s’adresser. La lèpre qui avait affecté le petit roi Baudouin IV tout le long de son règne n’avait jamais été comprise en Occident. Alors qu’en Orient c’était une simple maladie, que Guillaume avait cherché à guérir, au Vatican elle avait été considérée comme une manifestation de la volonté divine : la preuve que le règne de Baudouin n’était pas apprécié de Dieu, la preuve qu’aucune autre juridiction que celle de l’Église ne serait jamais approuvée par le Ciel à Jérusalem.
Baudouin IV avait pourtant été le meilleur de tous les rois de Jérusalem. Sa maladie ne l’avait pas empêché d’accomplir des miracles, comme de remporter la bataille de Montgisard, que tous donnaient pour perdue d’avance. Baudouin IV, dont le tempérament doux et sage était dû à l’éducation inculquée par Guillaume de Tyr, était en quelque sorte le pendant civil de Josias tant leurs caractères étaient proches. Josias réfléchit un instant. Guillaume était mort en des circonstances étranges. D’aucuns disaient qu’il avait été empoisonné par Héraclius, parce qu’il avait voulu aller à Rome contester l’élection de ce dernier à la charge de patriarche de Jérusalem. Josias croisa malencontreusement le regard du pape, qui, s’apercevant de son trouble, l’invita à s’exprimer.
— Guillaume a aimé Baudouin, c’est vrai, convint Josias en s’adressant directement au pape. Mais à Hattin, nous avons vu le roi de Jérusalem combattre Saladin, alors que son patriarche, Héraclius, lui, était absent de la bataille. Il s’était fait remplacer par ses deux fils, dont l’un est évêque de Lydda, et l’autre celui d’Acre. Ce sont eux qui portaient la Vraie Croix. Vous constaterez que si l’Église est allée au front, ce n’est jamais en y envoyant ses plus hauts représentants…
Des filets de sueur coulaient sur le visage et dans le dos de Josias. Il venait de critiquer de façon à peine déguisée le comportement des papes depuis le concile de Clermont, où Urbain II avait prêché la libération du tombeau du Christ. Des voix s’élevaient depuis, peu nombreuses et fort timides il est vrai, pour reprocher aux papes d’avoir beaucoup incité les autres à partir mais de n’avoir jamais conduit eux-mêmes les croisés à Jérusalem.
Tous regardaient Josias : Urbain III avec tristesse, l’évêque de Préneste avec haine, et Di Morra avec attention.
— Vous êtes jeune, poursuivit le pape. La France et l’Angleterre vous feront le plus grand bien. Ne dit-on pas que les voyages forment la jeunesse ? Vous qui quittez tout juste les jupes de votre mère en avez grand besoin. Nous n’ignorons pas que certains représentants de l’Église étaient présents sur les champs de bataille quand d’autres, parmi les plus grands, ne s’y trouvaient pas. C’est qu’ils étaient appelés à d’autres tâches, non moins importantes. Mais ne sont-ils pas, eux, les soldats du Christ, nos dignes représentants ? Quand leurs étendards ont tourné à déconfiture, à Hattin, ces hommes, qu’ont-ils fait ?
— Ils se sont rendus, répondit Josias amèrement.
— Ils sont morts pour leur foi. Ce faisant, ils rejoignaient le Christ, dont ils venaient de fournir la plus parfaite imitation. Rien n’est plus beau que de mourir ainsi, soupira le Pape.
Il y eut un long silence embarrassé, puis Josias s’agenouilla et prit la main du pape :
— Très Saint-Père, souffla-t-il en baissant la tête, je vous prie de bien vouloir pardonner mon jeune âge et ma méconnaissance des mœurs de votre pays. J’ai dû quitter ma patrie, où la guerre fait rage. Ma peine est grande. Elle s’ajoute à celle que nous partageons tous de la perte de la Sainte Croix, et cette douleur a
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