Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
Vom Netzwerk:
avoir
éprouvé de grands maux ni de corps ni d'esprit durant ma vie. Que
j'avais bien raison! un pressentiment me faisait craindre de vivre
pour souffrir. Il semblait que je prévoyais le sort qui m'attendait
sur mes vieux jours. Je n'ai jamais été si près de la sagesse que
durant cette heureuse époque. Sans grands remords sur le passé,
délivré des soucis de l'avenir, le sentiment qui dominait
constamment dans mon âme était de jouir du présent. Les dévots ont
pour l'ordinaire une petite sensualité très vive qui leur fait
savourer avec délices les plaisirs innocents qui leur sont permis.
Les mondains leur en font un crime, je ne sais pourquoi; ou plutôt
je le sais bien: c'est qu'ils envient aux autres la jouissance des
plaisirs simples dont eux-mêmes ont perdu le goût. Je l'avais, ce
goût, et je trouvais charmant de le satisfaire en sûreté de
conscience. Mon cœur, neuf encore, se livrait à tout avec un
plaisir d'enfant, ou plutôt, si j'ose le dire, avec une volupté
d'ange; car en vérité ces tranquilles jouissances ont la sérénité
de celles du paradis. Des dîners faits sur l'herbe à Montagnole,
des soupers sous le berceau, la récolte des fruits, les vendanges,
les veillées à teiller avec nos gens, tout cela faisait pour nous
autant de fêtes auxquelles maman prenait le même plaisir que moi.
Des promenades plus solitaires avaient un charme plus grand encore,
parce que le cœur s'épanchait plus en liberté. Nous en fîmes une
entre autres qui fait époque dans ma mémoire, un jour de Saint
Louis, dont maman portait le nom. Nous partîmes ensemble et seuls
de bon matin, après la messe qu'un carme était venu nous dire, au
point du jour, dans une chapelle attenante à la maison. J'avais
proposé d'aller parcourir la côte opposée à celle où nous étions,
et que nous n'avions point visitée encore. Nous avions envoyé nos
provisions d'avance, car la course devait durer tout le jour.
Maman, quoiqu'un peu ronde et grasse, ne marchait pas mal: nous
allions de colline en colline et de bois en bois, quelquefois au
soleil et souvent à l'ombre, nous reposant de temps en temps et
nous oubliant des heures entières; causant de nous, de notre union,
de la douceur de notre sort, et faisant pour sa durée des vœux qui
ne furent pas exaucés. Tout semblait conspirer au bonheur de cette
journée. Il avait plu depuis peu; point de poussière, et des
ruisseaux bien courants; un petit vent frais agitait les feuilles,
l'air était pur, l'horizon sans nuage; la sérénité régnait au ciel
comme dans nos cœurs. Notre dîner fut fait chez un paysan et
partagé avec sa famille, qui nous bénissait de bon cœur. Ces
pauvres Savoyards sont si bonnes gens! Après le dîner nous gagnâmes
l'ombre sous les grands arbres, où, tandis que j'amassais des brins
de bois sec pour faire notre café, maman s'amusait à herboriser
parmi les broussailles; et avec les fleurs du bouquet que chemin
faisant je lui avais ramassé, elle me fit remarquer dans leur
structure mille choses curieuses qui m'amusèrent beaucoup et qui
devaient me donner du goût pour la botanique: mais le moment
n'était pas venu, j'étais distrait par trop d'autres études. Une
idée qui vint me frapper fit diversion aux fleurs et aux plantes.
La situation d'âme où je me trouvais, tout ce que nous avions dit
et fait ce jour-là, tous les objets qui m'avaient frappé, me
rappelèrent l'espèce de rêve que tout éveillé j'avais fait à Annecy
sept ou huit ans auparavant, et dont j'ai rendu compte en son lieu.
Les rapports en étaient si frappants, qu'en y pensant j'en fus ému
jusqu'aux larmes. Dans un transport d'attendrissement j'embrassai
cette chère amie: Maman, maman, lui dis-je avec passion, ce jour
m'a été promis depuis longtemps, et je ne vois rien au delà. Mon
bonheur, grâce à vous, est à son comble: puisse-t-il ne pas
décliner désormais! puisse-t-il durer aussi longtemps que j'en
conserverai le goût! il ne finira qu'avec moi.
    Ainsi coulèrent mes jours heureux, et d'autant plus heureux que,
n'apercevant rien qui les dût troubler, je n'envisageais en effet
leur fin qu'avec la mienne. Ce n'était pas que la source de mes
soucis fût absolument tarie; mais je lui voyais prendre un autre
cours que je dirigeais de mon mieux sur des objets utiles, afin
qu'elle portât son remède avec elle. Maman aimait naturellement la
campagne, et ce goût ne s'attiédissait pas avec moi. Peu à peu elle
prit celui des soins champêtres;

Weitere Kostenlose Bücher