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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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elle aimait à faire valoir les
terres, et elle avait sur cela des connaissances dont elle faisait
usage avec plaisir. Non contente de ce qui dépendait de la maison
qu'elle avait prise, elle louait tantôt un champ, tantôt un pré.
Enfin, portant son humeur entreprenante sur des objets
d'agriculture, au lieu de rester oisive dans sa maison, elle
prenait le train de devenir bientôt une grosse fermière. Je
n'aimais pas trop à la voir ainsi s'étendre, et je m'y opposais
tant que je pouvais, bien sûr qu'elle serait toujours trompée, et
que son humeur libérale et prodigue porterait toujours la dépense
au delà du produit. Toutefois, je me consolais en pensant que ce
produit du moins ne serait pas nul, et lui aiderait à vivre. De
toutes les entreprises qu'elle pouvait former, celle-là me
paraissait la moins ruineuse, et, sans y envisager comme elle un
objet de profit, j'y envisageais une occupation continuelle qui la
garantirait des mauvaises affaires et des escrocs. Dans cette idée,
je désirais ardemment de recouvrer autant de force et de santé
qu'il m'en fallait pour veiller à ses affaires, pour être piqueur
de ses ouvriers ou son premier ouvrier; et naturellement l'exercice
que cela me faisait faire, m'arrachant souvent à mes livres et me
distrayant sur mon état, devait le rendre meilleur.
    L'hiver suivant, Barillot revenant d'Italie m'apporta quelques
livres, entre autres le Bontempi et la Cartella per musica du père
Banchieri, qui me donnèrent du goût pour l'histoire de la musique
et pour les recherches théoriques de ce bel art. Barillot resta
quelque temps avec nous; et comme j'étais majeur depuis plusieurs
mois, il fut convenu que j'irais le printemps suivant à Genève
redemander le bien de ma mère, ou du moins la part qui m'en
revenait, en attendant qu'on sût ce que mon frère était devenu.
Cela s'exécuta comme il avait été résolu. J'allai à Genève; mon
père y vint de son côté. Depuis longtemps il y revenait sans qu'on
lui cherchât querelle, quoiqu'il n'eût jamais purgé son décret:
mais comme on avait de l'estime pour son courage et du respect pour
sa probité, on feignait d'avoir oublié son affaire; et les
magistrats, occupés du grand projet qui éclata peu après, ne
voulaient pas effaroucher avant le temps la bourgeoisie, en lui
rappelant mal à propos leur ancienne partialité.
    Je craignais qu'on ne me fît des difficultés sur mon changement
de religion; l'on n'en fit aucune. Les lois de Genève sont à cet
égard moins dures que celles de Berne, où quiconque change de
religion perd non seulement son état, mais son bien. Le mien ne me
fut donc pas disputé, mais se trouva, je ne sais comment, réduit à
fort peu de chose. Quoiqu'on fût à peu près sûr que mon frère était
mort, on n'en avait point de preuve juridique. Je manquais de
titres suffisants pour réclamer sa part, et je la laissai sans
regret pour aider à vivre à mon père, qui en a joui tant qu'il a
vécu. Sitôt que les formalités de justice furent faites et que
j'eus reçu mon argent, j'en mis quelque partie en livres, et je
volai porter le reste aux pieds de maman. Le cœur me battait de
joie durant la route, et le moment où je déposai cet argent dans
ses mains me fut mille fois plus doux que celui où il entra dans
les miennes. Elle le reçut avec cette simplicité des belles âmes,
qui, faisant ces choses-là sans effort, les voient sans admiration.
Cet argent fut employé presque tout entier à mon usage, et cela
avec une égale simplicité. L'emploi en eût exactement été le même
s'il lui fût venu d'autre part.
    Cependant ma santé ne se rétablissait point; je dépérissais au
contraire à vue d'oeil; j'étais pâle comme un mort et maigre comme
un squelette; mes battements d'artères étaient terribles, mes
palpitations plus fréquentes; j'étais continuellement oppressé, et
ma faiblesse enfin devint telle que j'avais peine à me mouvoir; je
ne pouvais presser le pas sans étouffer, je ne pouvais me baisser
sans avoir des vertiges, je ne pouvais soulever le plus léger
fardeau; j'étais réduit à l'inaction la plus tourmentante pour un
homme aussi remuant que moi. Il est certain qu'il se mêlait à tout
cela beaucoup de vapeurs. Les vapeurs sont les maladies des gens
heureux, c'était la mienne: les pleurs que je versais souvent sans
raison de pleurer, les frayeurs vives au bruit d'une feuille ou
d'un oiseau, l'inégalité d'humeur dans le calme de la plus douce
vie, tout cela

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