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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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l'opiniâtreté de ces
vains et continuels efforts ne m'a pas enfin rendu stupide. Il faut
que j'aie appris et rappris bien vingt fois les Églogues de
Virgile, dont je ne sais pas un seul mot. J'ai perdu ou dépareillé
des multitudes de livres, par l'habitude que j'avais d'en porter
partout avec moi, au colombier, au jardin, au verger, à la vigne.
Occupé d'autre chose, je posais mon livre au pied d'un arbre ou sur
la haie; partout j'oubliais de le reprendre et souvent au bout de
quinze jours je le retrouvais pourri, ou rongé des fourmis et des
limaçons. Cette ardeur d'apprendre devint une manie qui me rendait
comme hébété, tout occupé que j'étais sans cesse à marmotter
quelque chose entre mes dents.
    Les écrits de Port-Royal et de l'Oratoire étant ceux que je
lisais le plus fréquemment, m'avaient rendu demi-janséniste; et,
malgré toute ma confiance, leur dure théologie m'épouvantait
quelquefois. La terreur de l'enfer, que jusque-là j'avais très peu
craint, troublait peu à peu ma sécurité; et si maman ne m'eût
tranquillisé l'âme, cette effrayante doctrine m'eût tout à fait
bouleversé. Mon confesseur, qui était aussi le sien, contribuait
pour sa part à me maintenir dans une bonne assiette. C'était le P.
Hemet, jésuite, bon et sage vieillard dont la mémoire me sera
toujours en vénération. Quoique jésuite, il avait la simplicité
d'un enfant; et sa morale, moins relâchée que douce, était
précisément ce qu'il me fallait pour balancer les tristes
impressions du jansénisme. Ce bonhomme et son compagnon, le P.
Coppier, venaient souvent nous voir aux Charmettes, quoique le
chemin fût fort rude et assez long pour des gens de leur âge. Leurs
visites me faisaient grand bien: que Dieu veuille le rendre à leurs
âmes! car ils étaient trop vieux alors pour que je les présume en
vie encore aujourd'hui. J'allais aussi les voir à Chambéri: je me
familiarisais peu à peu avec leur maison; leur bibliothèque était à
mon service. Le souvenir de cet heureux temps se lie avec celui des
jésuites au point de me faire aimer l'un par l'autre; et, quoique
leur doctrine m'ait toujours paru dangereuse, je n'ai jamais pu
trouver en moi le pouvoir de les haïr sincèrement.
    Je voudrais savoir s'il passe quelquefois dans les cœurs des
autres hommes des puérilités pareilles à celles qui passent
quelquefois dans le mien. Au milieu de mes études et d'une vie
innocente autant qu'on la puisse mener, et malgré tout ce qu'on
m'avait pu dire, la peur de l'enfer m'agitait encore souvent. Je me
demandais: En quel état suis-je? si je mourais à l'instant,
serais-je damné? Selon mes jansénistes la chose était indubitable;
mais selon ma conscience il me paraissait que non. Toujours
craintif et flottant dans cette cruelle incertitude, j'avais
recours, pour en sortir, aux expédients les plus risibles, et pour
lesquels je ferais volontiers enfermer un homme si je lui en voyais
faire autant. Un jour, rêvant à ce triste sujet, je m'exerçais
machinalement à lancer des pierres contre les troncs des arbres, et
cela avec mon adresse ordinaire, c'est-à-dire sans presque en
toucher aucun. Tout au milieu de ce bel exercice, je m'avisai de
m'en faire une espèce de pronostic pour calmer mon inquiétude. Je
me dis: Je m'en vais jeter cette pierre contre l'arbre qui est
vis-à-vis de moi; si je le touche, signe de salut; si je le manque,
signe de damnation. Tout en disant ainsi, je jette ma pierre d'une
main tremblante et avec un horrible battement de cœur, mais si
heureusement qu'elle va frapper au beau milieu de l'arbre; ce qui
véritablement n'était pas difficile, car j'avais eu soin de le
choisir fort gros et fort près. Depuis lors je n'ai plus douté de
mon salut. Je ne sais, en me rappelant ce fait, si je dois rire ou
gémir sur moi-même. Vous autres grands hommes, qui riez sûrement,
félicitez-vous; mais n'insultez pas à ma misère, car je vous jure
que je la sens bien.
    Au reste, ces troubles, ces larmes, inséparables peut-être de la
dévotion, n'étaient pas un état permanent. Communément j'étais
assez tranquille, et l'impression que l'idée d'une mort prochaine
faisait sur mon âme était moins de la tristesse qu'une langueur
paisible et qui même avait ses douceurs. Je viens de retrouver
parmi de vieux papiers une espèce d'exhortation que je me faisais à
moi-même, et où je me félicitais de mourir à l'âge où l'on trouve
assez de courage en soi pour envisager la mort, et sans

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