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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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protecteurs.
Ma catastrophe, arrivée peu de temps après, ne me laissa pas celui
d'avoir part à cette bonne œuvre; et je n'ai à me louer dans cette
affaire que du penchant de mon cœur. Revenons à mon voyage.
    Mon premier projet en sortant de chez M. de Montaigu était de me
retirer à Genève, en attendant qu'un meilleur sort, écartant les
obstacles, pût me réunir à ma pauvre maman. Mais l'éclat qu'avait
fait notre querelle, et la sottise qu'il fit d'en écrire à la cour,
me fit prendre le parti d'aller moi-même y rendre compte de ma
conduite, et me plaindre de celle d'un forcené. Je marquai de
Venise ma résolution à M. du Theil, chargé par intérim des affaires
étrangères après la mort de M. Amelot. Je partis aussitôt que ma
lettre: je pris ma route par Bergame, Côme et Domo d'Ossola; je
traversai le Simplon. A Sion, M. de Chaignon, chargé des affaires
de France, me fit mille amitiés; à Genève, M. de la Closure m'en
fit autant. J'y renouvelai connaissance avec M. de Gauffecourt,
dont j'avais quelque argent à recevoir. J'avais traversé Nyon sans
voir mon père: non qu'il ne m'en coûtât extrêmement, mais je
n'avais pu me résoudre à me montrer à ma belle-mère après mon
désastre, certain qu'elle me jugerait sans vouloir m'écouter. Le
libraire Duvillard, ancien ami de mon père, me reprocha vivement ce
tort. Je lui en dis la cause; et, pour le réparer sans m'exposer à
voir ma belle-mère, je pris une chaise, et nous fûmes ensemble à
Nyon descendre au cabaret. Duvillard s'en fut chercher mon pauvre
père, qui vint tout courant m'embrasser. Nous soupâmes ensemble,
et, après avoir passé une soirée bien douce à mon cœur, je
retournai le lendemain matin à Genève avec Duvillard, pour qui j'ai
toujours conservé de la reconnaissance du bien qu'il me fit en
cette occasion.
    Mon plus court chemin n'était pas par Lyon, mais j'y voulus
passer pour vérifier une friponnerie bien basse de M. de Montaigu.
J'avais fait venir de Paris une petite caisse contenant une veste
brodée en or, quelques paires de manchettes et six paires de bas de
soie blancs; rien de plus. Sur la proposition qu'il m'en fit
lui-même, je fis ajouter cette caisse, ou plutôt cette boîte, à son
bagage. Dans le mémoire d'apothicaire qu'il voulut me donner en
payement de mes appointements, et qu'il avait écrit de sa main, il
avait mis que cette boîte, qu'il appelait ballot, pesait onze
quintaux, et il m'en avait passé le port à un prix énorme. Par les
soins de M. Boy de la Tour, auquel j'étais recommandé par M.
Roguin, son oncle, il fut vérifié, sur les registres des douanes de
Lyon et de Marseille, que ledit ballot ne pesait que quarante-cinq
livres, et n'avait payé le port qu'à raison de ce poids. Je joignis
cet extrait authentique au mémoire de M. de Montaigu; et, muni de
ces pièces et de plusieurs autres de la même force, je me rendis à
Paris, très impatient d'en faire usage. J'eus, durant toute cette
longue route, de petites aventures à Côme, en Valais et ailleurs.
Je vis plusieurs choses, entre autres les îles Borromées, qui
mériteraient d'être décrites; mais le temps me gagne, les espions
m'obsèdent; je suis forcé de faire à la hâte et mal un travail qui
demanderait le loisir et la tranquillité qui me manquent. Si jamais
la Providence, jetant les yeux sur moi, me procure enfin des jours
plus calmes, je les destine à refondre, si je puis, cet ouvrage, ou
à y faire du moins un supplément dont je sens qu'il a grand
besoin.
    Le bruit de mon histoire m'avait devancé, et en arrivant je
trouvai que dans les bureaux et dans le public tout le monde était
scandalisé des folies de l'ambassadeur. Malgré cela, malgré le cri
public dans Venise, malgré les preuves sans réplique que
j'exhibais, je ne pus obtenir aucune justice. Loin d'avoir ni
satisfaction ni réparation, je fus même laissé à la discrétion de
l'ambassadeur pour mes appointements, et cela par l'unique raison
que n'étant pas Français, je n'avais pas droit à la protection
nationale, et que c'était une affaire particulière entre lui et
moi. Tout le monde convint avec moi que j'étais offensé, lésé,
malheureux; que l'ambassadeur était un extravagant cruel, inique,
et que toute cette affaire le déshonorait à jamais. Mais quoi! Il
était l'ambassadeur; je n'étais, moi, que le secrétaire. Le bon
ordre, ou ce qu'on appelle ainsi, voulait que je n'obtinsse aucune
justice, et je n'en obtins aucune. Je

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