Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
Vom Netzwerk:
était
grand et bien fait. Son corps fut formé pour loger son âme.
    Ce sage de cœur ainsi que de tête se connaissait en hommes, et
fut mon ami. C'est toute ma réponse à quiconque ne l'est pas. Nous
nous liâmes si bien que nous fîmes le projet de passer nos jours
ensemble. Je devais, dans quelques années, aller à Ascoytia pour
vivre avec lui dans sa terre. Toutes les parties de ce projet
furent arrangées entre nous la veille de son départ. Il n'y manqua
que ce qui ne dépend pas des hommes dans les projets les mieux
concertés. Les événements postérieurs, mes désastres, son mariage,
sa mort enfin, nous ont séparés pour toujours.
    On dirait qu'il n'y a que les noirs complots des méchants qui
réussissent; les projets innocents des bons n'ont presque jamais
d'accomplissement.
    Ayant senti l'inconvénient de la dépendance, je me promis bien
de ne m'y plus exposer. Ayant vu renverser dès leur naissance les
projets d'ambition que l'occasion m'avait fait former, rebuté de
rentrer dans la carrière que j'avais si bien commencée, et dont
néanmoins je venais d'être expulsé, je résolus de ne plus
m'attacher à personne, mais de rester dans l'indépendance en tirant
parti de mes talents, dont enfin je commençais à sentir la mesure,
et dont j'avais trop modestement pensé jusqu'alors. Je repris le
travail de mon opéra, que j'avais interrompu pour aller à Venise;
et, pour m'y livrer plus tranquillement, après le départ d'Altuna,
je retournai loger à mon ancien hôtel Saint-Quentin, qui, dans un
quartier solitaire et peu loin du Luxembourg, m'était plus commode
pour travailler à mon aise que la bruyante rue Saint-Honoré. Là
m'attendait la seule consolation réelle que le ciel m'ait fait
goûter dans ma misère, et qui seule me la rend supportable. Ceci
n'est pas une connaissance passagère; je dois entrer dans quelques
détails sur la manière dont elle se fit.
    Nous avions une nouvelle hôtesse qui était d'Orléans. Elle prit
pour travailler en linge une fille de son pays, d'environ
vingt-deux à vingt-trois ans, qui mangeait avec nous ainsi que
l'hôtesse. Cette fille, appelée Thérèse le Vasseur, était de bonne
famille: son père était officier de la monnaie d'Orléans, sa mère
était marchande. Ils avaient beaucoup d'enfants. La monnaie
d'Orléans n'allant plus, le père se trouva sur le pavé; la mère,
ayant essuyé des banqueroutes, fit mal ses affaires, quitta le
commerce, et vint à Paris avec son mari et sa fille, qui les
nourrissait tous trois de son travail.
    La première fois que je vis paraître cette fille à table, je fus
frappé de son maintien modeste, et plus encore de son regard vif et
doux, qui pour moi n'eut jamais son semblable. La table était
composée, outre M. de Bonnefond, de plusieurs abbés irlandais,
gascons, et autres gens de pareille étoffe. Notre hôtesse elle-même
avait rôti le balai: il n'y avait là que moi seul qui parlât et se
comportât décemment. On agaça la petite; je pris sa défense.
Aussitôt les lardons tombèrent sur moi. Quand je n'aurais eu
naturellement aucun goût pour cette pauvre fille, la compassion, la
contradiction m'en auraient donné. J'ai toujours aimé l'honnêteté
dans les manières et dans les propos, surtout avec le sexe. Je
devins hautement son champion. Je la vis sensible à mes soins; et
ses regards, animés par la reconnaissance, qu'elle n'osait exprimer
de bouche, n'en devenaient que plus pénétrants.
    Elle était très timide; je l'étais aussi. La liaison, que cette
disposition commune semblait éloigner, se fit pourtant très
rapidement. L'hôtesse, qui s'en aperçut, devint furieuse; et ses
brutalités avancèrent encore mes affaires auprès de la petite, qui,
n'ayant que moi seul d'appui dans la maison, me voyait sortir avec
peine et soupirait après le retour de son protecteur. Le rapport de
nos cœurs, le concours de nos dispositions eut bientôt son effet
ordinaire. Elle crut voir en moi un honnête homme; elle ne se
trompa pas. Je crus voir en elle une fille sensible, simple et sans
coquetterie; je ne me trompai pas non plus. Je lui déclarai
d'avance que je ne l'abandonnerais ni ne l'épouserais jamais.
L'amour, l'estime, la sincérité naïve furent les ministres de mon
triomphe; et c'était parce que son cœur était tendre et honnête que
je fus heureux sans être entreprenant.
    La crainte qu'elle eut que je ne me fâchasse de ne pas trouver
en elle ce qu'elle croyait que j'y cherchais recula mon

Weitere Kostenlose Bücher