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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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et
vertueux, au-dessus de la fortune et de l'opinion, et de se suffire
à soi-même. Quoique la mauvaise honte et la crainte des sifflets
m'empêchassent de me conduire d'abord sur ces principes, et de
rompre brusquement en visière aux maximes de mon siècle, j'en eus
dès lors la volonté décidée, et je ne tardai à l'exécuter qu'autant
de temps qu'il en fallait aux contradictions pour l'irriter et la
rendre triomphante.
    Tandis que je philosophais sur les devoirs de l'homme, un
événement vint me faire mieux réfléchir sur les miens. Thérèse
devint grosse pour la troisième fois. Trop sincère avec moi, trop
fière en dedans pour vouloir démentir mes principes par mes œuvres,
je me mis à examiner la destination de mes enfants, et mes liaisons
avec leur mère, sur les lois de la nature, de la justice et de la
raison, et sur celles de cette religion pure, sainte, éternelle
comme son auteur, que les hommes ont souillée en feignant de
vouloir la purifier, et dont ils n'ont plus fait, par leurs
formules, qu'une religion de mots, vu qu'il en coûte peu de
prescrire l'impossible quand on se dispense de le pratiquer.
    Si je me trompai dans mes résultats, rien n'est plus étonnant
que la sécurité d'âme avec laquelle je m'y livrai. Si j'étais de
ces hommes mal nés, sourds à la douce voix de la nature, au dedans
desquels aucun vrai sentiment de justice et d'humanité ne germa
jamais, cet endurcissement serait tout simple; mais cette chaleur
de cœur, cette sensibilité si vive, cette facilité à former des
attachements, cette force avec laquelle ils me subjuguent, ces
déchirements cruels quand il les faut rompre, cette bienveillance
innée pour mes semblables, cet amour ardent du grand, du vrai, du
beau, du juste; cette horreur du mal en tout genre, cette
impossibilité de haïr, de nuire, et même de le vouloir; cet
attendrissement, cette vive et douce émotion que je sens à l'aspect
de tout ce qui est vertueux, généreux, aimable: tout cela peut-il
jamais s'accorder dans la même âme avec la dépravation qui fait
fouler aux pieds sans scrupule le plus doux des devoirs? Non, je le
sens et le dis hautement, cela n'est pas possible. Jamais un seul
instant de sa vie Jean-Jacques n'a pu être un homme sans sentiment,
sans entrailles, un père dénaturé. J'ai pu me tromper, mais non
m'endurcir. Si je disais mes raisons, j'en dirais trop.
Puisqu'elles ont pu me séduire, elles en séduiraient bien d'autres:
je ne veux pas exposer les jeunes gens qui pourraient me lire à se
laisser abuser par la même erreur. Je me contenterai de dire
qu'elle fut telle, qu'en livrant mes enfants à l'éducation
publique, faute de pouvoir les élever moi-même, en les destinant à
devenir ouvriers et paysans plutôt qu'aventuriers et coureurs de
fortunes, je crus faire un acte de citoyen et de père, et je me
regardai comme un membre de la république de Platon. Plus d'une
fois, depuis lors, les regrets de mon cœur m'ont appris que je
m'étais trompé; mais, loin que ma raison m'ait donné le même
avertissement, j'ai souvent béni le ciel de les avoir garantis par
là du sort de leur père, et de celui qui les menaçait quand
j'aurais été forcé de les abandonner. Si je les avais laissés à
madame d'Épinay ou à madame de Luxembourg, qui, soit par amitié,
soit par générosité, soit par quelque autre motif, ont voulu s'en
charger dans la suite, auraient-ils été plus heureux, auraient-ils
été élevés du moins en honnêtes gens? Je l'ignore; mais je suis sûr
qu'on les aurait portés à haïr, peut-être à trahir leurs parents:
il vaut mieux cent fois qu'ils ne les aient point connus.
    Mon troisième enfant fut donc mis aux Enfants-Trouvés, ainsi que
les premiers, et il en fut de même des deux suivants, car j'en ai
eu cinq en tout. Cet arrangement me parut si bon, si sensé, si
légitime, que si je ne m'en vantai pas ouvertement, ce fut
uniquement par égard pour la mère; mais je le dis à tous ceux à qui
j'avais déclaré nos liaisons; je le dis à Diderot, à Grimm; je
l'appris dans la suite à madame d'Épinay, et dans la suite encore à
madame de Luxembourg, et cela librement, franchement, sans aucune
espèce de nécessité, et pouvant aisément le cacher à tout le monde;
car la Gouin était une honnête femme, très discrète, et sur
laquelle je comptais parfaitement. Le seul de mes amis à qui j'eus
quelque intérêt de m'ouvrir fut le médecin Thierry, qui soigna ma
pauvre tante dans une de ses

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