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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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bientôt au point d'être
sensible dans toute l'assemblée, et, pour parler à la Montesquieu,
d'augmenter son effet par son effet même. A la scène des deux
petites bonnes gens, cet effet fut à son comble. On ne claque point
devant le roi, cela fit qu'on entendit tout; la pièce et l'auteur y
gagnèrent. J'entendais autour de moi un chuchotement de femmes qui
me semblaient belles comme des anges, et qui s'entredisaient à
demi-voix: Cela est charmant, cela est ravissant; il n'y a pas un
son là qui ne parle au cœur. Le plaisir de donner de l'émotion à
tant d'aimables personnes m'émut moi-même jusqu'aux larmes, et je
ne pus les contenir au premier duo, en remarquant que je n'étais
pas seul à pleurer. J'eus un moment de retour sur moi-même, en me
rappelant le concert de M. de Treitorens. Cette réminiscence eut
l'effet de l'esclave qui tenait la couronne sur la tête, des
triomphateurs; mais elle fut courte, et je me livrai bientôt
pleinement et sans distraction au plaisir de savourer ma gloire. Je
suis pourtant sûr qu'en ce moment la volupté du sexe y entrait
beaucoup plus que la vanité d'auteur; et sûrement s'il n'y eût eu
là que des hommes, je n'aurais pas été dévoré, comme je l'étais
sans cesse, du désir de recueillir de mes lèvres les délicieuses
larmes que je faisais couler. J'ai vu des pièces exciter de plus
vifs transports d'admiration, mais jamais une ivresse aussi pleine,
aussi douce, aussi touchante, régner dans tout un spectacle, et
surtout à la cour, un jour de première représentation. Ceux qui ont
vu celle-là doivent s'en souvenir; car l'effet en fut unique.
    Le même soir, M. le duc d'Aumont me fit dire de me trouver au
château le lendemain sur les onze heures, et qu'il me présenterait
au roi. M. de Cury, qui me fit ce message, ajouta qu'on croyait
qu'il s'agissait d'une pension, et que le roi voulait me l'annoncer
lui-même.
    Croira-t-on que la nuit qui suivit une aussi brillante journée
fut une nuit d'angoisse et de perplexité pour moi? Ma première
idée, après celle de cette représentation, se porta sur un fréquent
besoin de sortir, qui m'avait fait beaucoup souffrir le soir même
au spectacle, et qui pouvait me tourmenter le lendemain quand je
serais dans la galerie ou dans les appartements du roi, parmi tous
ces grands, attendant le passage de Sa Majesté. Cette infirmité
était la principale cause qui me tenait écarté des cercles, et qui
m'empêchait d'aller m'enfermer chez des femmes. L'idée seule de
l'état où ce besoin pouvait me mettre était capable de me le donner
au point de m'en trouver mal, à moins d'un esclandre auquel
j'aurais préféré la mort. Il n'y a que les gens qui connaissent cet
état qui puissent juger de l'effroi d'en courir le risque.
    Je me figurais ensuite devant le roi, présenté à Sa Majesté, qui
daignait s'arrêter et m'adresser la parole. C'était là qu'il
fallait de la justesse et de la présence d'esprit pour répondre. Ma
maudite timidité, qui me trouble devant le moindre inconnu,
m'aurait-elle quitté devant le roi de France, ou m'aurait-elle
permis de bien choisir à l'instant ce qu'il fallait dire! Je
voulais, sans quitter l'air et le ton sévère que j'avais pris, me
montrer sensible à l'honneur que me faisait un si grand monarque.
Il fallait envelopper quelque grande et utile vérité dans une
louange belle et méritée. Pour préparer d'avance une réponse
heureuse, il aurait fallu prévoir juste ce qu'il pourrait me dire;
et j'étais sûr après cela de ne pas retrouver en sa présence un mot
de ce que j'aurais médité. Que deviendrais-je en ce moment et sous
les yeux de toute la cour, s'il allait m'échapper dans mon trouble
quelqu'une de mes balourdises ordinaires? Ce danger m'alarma,
m'effraya, me fit frémir au point de me déterminer, à tout risque à
ne m'y pas exposer.
    Je perdais, il est vrai, la pension qui m'était offerte en
quelque sorte; mais je m'exemptais aussi du joug qu'elle m'eût
imposé. Adieu la vérité, la liberté, le courage. Comment oser
désormais parler d'indépendance et de désintéressement? Il ne
fallait plus que flatter ou me taire en recevant cette pension:
encore qui m'assurait qu'elle me serait payée? Que de pas à faire,
que de gens à solliciter! Il m'en coûterait plus de soins, et bien
plus désagréables pour la conserver, que pour m'en passer. Je crus
donc, en y renonçant, prendre un parti très conséquent à mes
principes, et sacrifier l'apparence à la

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