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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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pays. Je vous hais, enfin, puisque vous
l'avez voulu; mais je vous hais en homme encore plus digne de vous
aimer, si vous l'aviez voulu. De tous les sentiments dont mon cœur
était pénétré pour vous, il n'y reste que l'admiration qu'on ne
peut refuser à votre beau génie, et l'amour de vos écrits. Si je ne
puis honorer en vous que vos talents, ce n'est pas ma faute. Je ne
manquerai jamais au respect qui leur est dû, ni aux procédés que ce
respect exige. Adieu, monsieur."
    Au milieu de toutes ces petites tracasseries littéraires, qui me
confirmaient de plus en plus dans ma résolution, je reçus le plus
grand honneur que les lettres m'aient attiré, et auquel j'ai été le
plus sensible, dans la visite que M. le prince de Conti daigna me
faire par deux fois, l'une au petit château, et l'autre à
Mont-Louis. Il choisit même toutes les deux fois le temps que
madame de Luxembourg n'était pas à Montmorency, afin de rendre plus
manifeste qu'il n'y venait que pour moi. Je n'ai jamais douté que
je ne dusse les premières bontés de ce prince à madame de
Luxembourg et à madame de Boufflers; mais je ne doute pas non plus
que je ne doive à ses propres sentiments et à moi-même celles dont
il n'a cessé de m'honorer depuis lors.
    Comme mon appartement de Mont-Louis était très petit, et que la
situation du donjon était charmante, j'y conduisis le prince, qui,
pour comble de grâces, voulut que j'eusse l'honneur de faire sa
partie aux échecs. Je savais qu'il gagnait le chevalier de Lorenzy,
qui était plus fort que moi. Cependant, malgré les signes et les
grimaces du chevalier et des assistants, que je ne fis pas semblant
de voir, je gagnai les deux parties que nous jouâmes. En finissant
je lui dis d'un ton respectueux, mais grave: Monseigneur, j'honore
trop Votre Altesse sérénissime pour ne la pas gagner toujours aux
échecs. Ce grand prince, plein d'esprit et de lumières, et si digne
de n'être pas adulé, sentit en effet, du moins je le pense, qu'il
n'y avait là que moi qui le traitasse en homme, et j'ai tout lieu
de croire qu'il m'en a vraiment su bon gré.
    Quand il m'en aurait su mauvais gré, je ne me reprocherais pas
de n'avoir voulu le tromper en rien, et je n'ai pas assurément à me
reprocher non plus d'avoir mal répondu dans mon cœur à ses bontés,
mais bien d'y avoir répondu quelquefois de mauvaise grâce, tandis
qu'il mettait lui-même une grâce infinie dans la manière de me les
marquer. Peu de jours après, il me fit envoyer un panier de gibier,
que je reçus comme je devais. A quelque temps de là, il m'en fit
envoyer un autre, et l'un de ses officiers des chasses écrivit par
ses ordres que c'était de la chasse de Son Altesse, et du gibier
tiré de sa propre main. Je le reçus encore; mais j'écrivis à madame
de Boufflers que je n'en recevrais plus. Cette lettre fut
généralement blâmée, et méritait de l'être. Refuser des présents en
gibier, d'un prince du sang, qui de plus met tant d'honnêteté dans
l'envoi, est moins la délicatesse d'un homme fier qui veut
conserver son indépendance, que la rusticité d'un malappris qui se
méconnaît. Je n'ai jamais relu cette lettre dans mon recueil sans
en rougir, et sans me reprocher de l'avoir écrite. Mais enfin je
n'ai pas entrepris mes Confessions pour taire mes sottises, et
celle-là me révolte trop moi-même pour qu'il me soit permis de la
dissimuler.
    Si je ne fis pas celle de devenir son rival, il s'en fallut peu:
car alors madame de Boufflers était encore sa maîtresse, et je n'en
savais rien. Elle me venait voir assez souvent avec le chevalier de
Lorenzy. Elle était belle et jeune encore; elle affectait l'esprit
romain, et moi je l'eus toujours romanesque; cela se tenait d'assez
près. Je faillis me prendre; je crois qu'elle le vit: le chevalier
le vit aussi; du moins il m'en parla, et de manière à ne pas me
décourager. Mais pour le coup je fus sage, et il en était temps à
cinquante ans. Plein de la leçon que je venais de donner aux
barbons dans ma lettre à d'Alembert, j'eus honte d'en profiter si
mal moi-même; d'ailleurs, apprenant ce que j'avais ignoré, il
aurait fallu que la tête m'eût tourné, pour porter si haut mes
concurrences. Enfin, mal guéri peut-être encore de ma passion pour
madame d'Houdetot, je sentis que plus rien ne la pouvait remplacer
dans mon cœur, et je fis mes adieux à l'amour pour le reste de ma
vie. Au moment où j'écris ceci, je viens d'avoir d'une jeune femme,
qui avait ses

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