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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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vues, des agaceries bien dangereuses, et avec des
yeux bien inquiétants; mais si elle a fait semblant d'oublier mes
douze lustres, pour moi je m'en suis souvenu. Après m'être tiré de
ce pas, je ne crains plus de chutes, et je réponds de moi pour le
reste de mes jours.
    Madame de Boufflers, s'étant aperçue de l'émotion qu'elle
m'avait donnée, put s'apercevoir aussi que j'en avais triomphé. Je
ne suis ni assez fou ni assez vain pour croire avoir pu lui
inspirer du goût à mon âge; mais, sur certains propos qu'elle tint
à Thérèse, j'ai cru lui avoir inspiré de la curiosité; si cela est,
et qu'elle ne m'ait pas pardonné cette curiosité frustrée, il faut
avouer que j'étais bien né pour être victime de mes faiblesses,
puisque l'amour vainqueur me fut si funeste, et que l'amour vaincu
me le fut encore plus.
    Ici finit le recueil des lettres qui m'a servi de guide dans ces
deux livres. Je ne vais plus marcher que sur la trace de mes
souvenirs; mais ils sont tels dans cette cruelle époque, et la
forte impression m'en est si bien restée, que, perdu dans la mer
immense de mes malheurs, je ne puis oublier les détails de mon
premier naufrage, quoique ses suites ne m'offrent plus que des
souvenirs confus. Ainsi, je puis marcher dans le livre suivant avec
encore assez d'assurance. Si je vais plus loin, ce ne sera plus
qu'en tâtonnant.

Livre XI
    Quoique la Julie, qui depuis longtemps était sous presse, ne
parût point encore à la fin de 1760, elle commençait à faire grand
bruit. Madame de Luxembourg en avait parlé à la cour, madame
d'Houdetot à Paris. Cette dernière avait même obtenu de moi, pour
Saint-Lambert, la permission de la faire lire en manuscrit au roi
de Pologne, qui en avait été enchanté. Duclos, à qui je l'avais
aussi fait lire, en avait parlé à l'Académie. Tout Paris était dans
l'impatience de voir ce roman; les libraires de la rue
Saint-Jacques et celui du Palais-Royal étaient assiégés de gens qui
en demandaient des nouvelles. Il parut enfin, et son succès, contre
l'ordinaire, répondit à l'empressement avec lequel il avait été
attendu. Madame la Dauphine, qui l'avait lu des premières, en parla
à M. de Luxembourg comme d'un ouvrage ravissant. Les sentiments
furent partagés chez les gens de lettres, mais dans le monde il n'y
eut qu'un avis; et les femmes surtout s'enivrèrent et du livre et
de l'auteur, au point qu'il y en avait peu, même dans les hauts
rangs, dont je n'eusse fait la conquête, si je l'avais entrepris.
J'ai de cela des preuves que je ne veux pas écrire, et qui, sans
avoir eu besoin de l'expérience, autorisent mon opinion. Il est
singulier que ce livre ait mieux réussi en France que dans le reste
de l'Europe, quoique les Français, hommes et femmes, n'y soient pas
fort bien traités. Tout au contraire de mon attente, son moindre
succès fut en Suisse, et son plus grand à Paris. L'amitié, l'amour,
la vertu, règnent-ils donc à Paris plus qu'ailleurs? Non, sans
doute; mais il y règne encore ce sens exquis qui transporte le cœur
à leur image, et qui nous fait chérir dans les autres les
sentiments purs, tendres, honnêtes, que nous n'avons plus. La
corruption désormais est partout la même: il n'existe plus ni mœurs
ni vertus en Europe; mais s'il existe encore quelque amour pour
elles, c'est à Paris qu'on doit le chercher.
    Il faut, à travers tant de préjugés et de passions factices,
savoir bien analyser le cœur humain pour y démêler les vrais
sentiments de la nature. Il faut une délicatesse de tact qui ne
s'acquiert que dans l'éducation du grand monde, pour sentir, si
j'ose ainsi dire, les finesses du cœur dont cet ouvrage est rempli.
Je mets sans crainte sa quatrième partie à côté de la Princesse de
Clèves, et je dis que si ces deux morceaux n'eussent été lus qu'en
province, on n'aurait jamais senti tout leur prix. Il ne faut donc
pas s'étonner si le plus grand succès de ce livre fut à la cour. Il
abonde en traits vifs, mais voilés, qui doivent y plaire, parce
qu'on est plus exercé à les pénétrer. Il faut pourtant ici
distinguer encore. Cette lecture n'est assurément pas propre à
cette sorte de gens d'esprit qui n'ont que de la ruse, qui ne sont
fins que pour pénétrer le mal, et qui ne voient rien du tout où il
n'y a que du bien à voir. Si, par exemple, la Julie eût été publiée
en certain pays que je pense, je suis sûr que personne n'en eût
achevé la lecture, et qu'elle serait morte en naissant.
    J'ai

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