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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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faisait qu'irriter la
fureur. Une des choses qui m'affectèrent le plus, fut de voir les
familles de mes amis, ou des gens qui portaient ce nom, entrer
assez ouvertement dans la ligue de mes persécuteurs, comme les
d'Ivernois, sans en excepter même le père et le frère de mon
Isabelle, Boy de la Tour, parent de l'amie chez qui j'étais logé,
et madame Girardier, sa belle-sœur. Ce Pierre Boy était si butor,
si bête et se comporta si brutalement, que, pour ne pas me mettre
en colère, je me permis de le plaisanter; et je fis, dans le goût
du petit Prophète, une petite brochure de quelques pages, intitulée
la Vision de Pierre de la montagne, dit le Voyant, dans laquelle je
trouvai le moyen de tirer assez plaisamment sur des miracles qui
faisaient alors le grand prétexte de ma persécution. Du Peyrou fit
imprimer à Genève ce chiffon qui n'eut dans le pays qu'un succès
médiocre; les Neuchâtelois, avec tout leur esprit, ne sentent guère
le sel attique ni la plaisanterie, sitôt qu'elle est un peu
fine.
    Je mis un peu plus de soin à un autre écrit du même temps, dont
on trouvera le manuscrit parmi mes papiers, et dont il faut dire
ici le sujet.
    Dans la plus grande fureur des décrets et de la persécution, les
Genevois s'étaient particulièrement signalés en criant haro de
toute leur force; et mon ami Vernes entre autres, avec une
générosité vraiment théologique, choisit précisément ce temps-là
pour publier contre moi des lettres où il prétendait prouver que je
n'étais pas chrétien. Ces lettres, écrites avec un ton de
suffisance, n'en étaient pas meilleures, quoiqu'on assurât que le
naturaliste Bonnet y avait mis la main: car ledit Bonnet, quoique
matérialiste, ne laisse pas d'être d'une orthodoxie très
intolérante sitôt qu'il s'agit de moi. Je ne fus assurément pas
tenté de répondre à cet ouvrage; mais l'occasion s'étant présentée
d'en dire un mot dans les Lettres de la montagne, j'y insérai une
petite note assez dédaigneuse qui mit Vernes en fureur. Il remplit
Genève des cris de sa rage, et d'Ivernois me marqua qu'il ne se
possédait pas. Quelque temps après parut une feuille anonyme, qui
semblait écrite, au lieu d'encre, avec l'eau du Phlégéton. On
m'accusait, dans cette lettre, d'avoir exposé mes enfants dans les
rues, de traîner après moi une coureuse de corps de garde, d'être
usé de débauche, pourri de vérole, et d'autres gentillesses
semblables. Il ne me fut pas difficile de reconnaître mon homme. Ma
première idée, à la lecture de ce libelle, fut de mettre à son vrai
prix tout ce qu'on appelle renommée et réputation parmi les hommes,
en voyant traiter de coureur de bordel un homme qui n'y fut de sa
vie, et dont le plus grand défaut fut toujours d'être timide et
honteux comme une vierge, et en me voyant passer pour être pourri
de vérole, moi qui non seulement n'eus de mes jours la moindre
atteinte d'aucun mal de cette espèce, mais que des gens de l'art
ont même cru conformé de manière à n'en pouvoir contracter. Tout
bien pesé, je crus ne pouvoir mieux réfuter ce libelle qu'en le
faisant imprimer dans la ville où j'avais le plus vécu; et je
l'envoyai à Duchesne pour le faire imprimer tel qu'il était, avec
un avertissement où je nommais M. Vernes, et quelques courtes notes
pour l'éclaircissement des faits. Non content d'avoir fait imprimer
cette feuille, je l'envoyai à plusieurs personnes, et entre autres
à M. le prince Louis de Wirtemberg, qui m'avait fait des avances
très honnêtes, et avec lequel j'étais alors en correspondance. Ce
prince, du Peyrou et d'autres, parurent douter que Vernes fût
l'auteur du libelle, et me blâmèrent de l'avoir nommé trop
légèrement. Sur leurs représentations, le scrupule me prit, et
j'écrivis à Duchesne de supprimer cette feuille. Guy m'écrivit
l'avoir supprimée; je ne sais pas s'il l'a fait; je l'ai trouvé
menteur en tant d'occasions, que celle-là de plus ne serait pas une
merveille; et dès lors j'étais enveloppé de ces profondes ténèbres,
à travers lesquelles il m'est impossible de pénétrer aucune sorte
de vérité.
    M. Vernes supporta cette imputation avec une modération plus
qu'étonnante dans un homme qui ne l'aurait pas méritée, après la
fureur qu'il avait montrée auparavant. Il m'écrivit deux ou trois
lettres très mesurées, dont le but parut être de tâcher de
pénétrer, par mes réponses, à quel point j'étais instruit, et si
j'avais quelque preuve contre

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