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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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sortie. Je
saute dans la cuisine. Je trouve Thérèse, qui s'était aussi levée,
et qui toute tremblante accourait à moi. Nous nous rangeons contre
un mur, hors de la direction de la fenêtre, pour éviter l'atteinte
des pierres, et délibérer sur ce que nous avions à faire: car
sortir pour appeler du secours était le moyen de nous faire
assommer. Heureusement la servante d'un vieux bonhomme qui logeait
au-dessous de moi se leva au bruit, et courut après M. le
châtelain, dont nous étions porte à porte. Il saute de son lit,
prend sa robe de chambre à la hâte, et vient à l'instant avec la
garde qui, à cause de la foire, faisait la ronde cette nuit-là et
se trouva à sa portée. Le châtelain vit le dégât avec un tel
effroi, qu'il en pâlit; et, à la vue des cailloux dont la galerie
était pleine, il s'écria: Mon Dieu! c'est une carrière! En visitant
le bas, on trouva que la porte d'une petite cour avait été forcée,
et qu'on avait tenté de pénétrer dans la maison par la galerie. En
recherchant pourquoi la garde n'avait point aperçu ou empêché le
désordre, il se trouva que ceux de Motiers s'étaient obstinés à
vouloir faire cette garde hors de leur rang, quoique ce fût le tour
d'un autre village. Le lendemain, le châtelain envoya son rapport
au conseil d'État, qui, deux jours après, lui envoya l'ordre
d'informer sur cette affaire, de promettre une récompense et le
secret à ceux qui dénonceraient les coupables, et de mettre en
attendant, aux frais du prince, des gardes à ma maison et à celle
du châtelain, qui la touchait. Le lendemain, le colonel de Pury, le
procureur général Meuron, le châtelain Martinet, le receveur
Guyenet, le trésorier d'Ivernois et son père, en un mot tout ce
qu'il y avait de gens distingués dans le pays, vinrent me voir, et
réunirent leurs sollicitations pour m'engager à céder à l'orage, et
à sortir au moins pour un temps d'une paroisse où je ne pouvais
plus vivre en sûreté ni avec honneur. Je m'aperçus même que le
châtelain, effrayé des fureurs de ce peuple forcené, et craignant
qu'elles ne s'étendissent jusqu'à lui, aurait été bien aise de m'en
voir partir au plus vite, pour n'avoir plus l'embarras de m'y
protéger, et pouvoir la quitter lui-même, comme il fit après mon
départ. Je cédai donc, et même avec peu de peine; car le spectacle
de la haine du peuple me causait un déchirement de cœur que je ne
pouvais plus supporter.
    J'avais plus d'une retraite à choisir. Depuis le retour de
madame de Verdelin à Paris, elle m'avait parlé dans plusieurs
lettres d'un M. Walpole qu'elle appelait milord, lequel, pris d'un
grand zèle en ma faveur, me proposait, dans une de ses terres, un
asile dont elle me faisait les descriptions les plus agréables,
entrant, par rapport au logement et à la subsistance, dans des
détails qui marquaient à quel point ledit milord Walpole s'occupait
avec elle de ce projet. Milord maréchal m'avait toujours conseillé
l'Angleterre ou l'Écosse, et m'y offrait un asile aussi dans ses
terres, mais il m'en offrait un qui me tentait beaucoup davantage à
Potsdam, auprès de lui. Il venait de me faire part d'un propos que
le roi lui avait tenu à mon sujet, et qui était une espèce
d'invitation à m'y rendre; et madame la duchesse de Saxe-Gotha
comptait si bien sur ce voyage, qu'elle m'écrivit pour me presser
d'aller la voir en passant, et de m'arrêter quelque temps auprès
d'elle: mais j'avais un tel attachement pour la Suisse, que je ne
pouvais me résoudre à la quitter tant qu'il me serait possible d'y
vivre, et je pris ce temps pour exécuter un projet dont j'étais
occupé depuis quelques mois, et dont je n'ai pu parler encore, pour
ne pas couper le fil de mon récit.
    Ce projet consistait à m'aller établir dans l'île de
Saint-Pierre, domaine de l'hôpital de Berne, au milieu du lac de
Bienne. Dans un pèlerinage pédestre que j'avais fait l'été
précédent avec du Peyrou, nous avions visité cette île, et j'en
avais été tellement enchanté, que je n'avais cessé depuis ce
temps-là de songer aux moyens d'y faire ma demeure. Le plus grand
obstacle était que l'île appartenait aux Bernois, qui, trois ans
auparavant, m'avaient vilainement chassé de chez eux; et outre que
ma fierté pâtissait à retourner chez des gens qui m'avaient si mal
reçu, j'avais lieu de craindre qu'ils ne me laissassent pas plus en
repos dans cette île qu'ils n'avaient fait à Yverdun. J'avais
consulté là-dessus

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