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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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j'en
pourrais citer, j'en prends un qui n'est pas de ma jeunesse, mais
d'un temps où, ayant vécu plusieurs années dans le monde, j'en
aurais pris l'aisance et le ton, si la chose eût été possible.
J'étais un soir entre deux grandes dames et un homme qu'on peut
nommer; c'était M. le duc de Gontaut. Il n'y avait personne autre
dans la chambre, et je m'efforçais de fournir quelques mots, Dieu
sait quels! à une conversation entre quatre personnes, dont trois
n'avaient assurément pas besoin de mon supplément. La maîtresse de
la maison se fit apporter un opiate dont elle prenait tous les
jours deux fois pour son estomac. L'autre dame, lui voyant faire la
grimace, dit en riant: Est-ce de l'opiate de M. Tronchin? Je ne
crois pas, répondit sur le même ton la première. Je crois qu'elle
ne vaut guère mieux, ajouta galamment le spirituel Rousseau. Tout
le monde resta interdit; il n'échappa ni le moindre mot ni le
moindre sourire, et l'instant d'après la conversation prit un autre
tour. Vis-à-vis d'une autre la balourdise eût pu n'être que
plaisante; mais adressée à une femme trop aimable pour n'avoir pas
un peu fait parler d'elle, et qu'assurément je n'avais pas dessein
d'offenser, elle était terrible; et je crois que les deux témoins,
homme et femme, eurent bien de la peine à s'empêcher d'éclater.
Voilà de ces traits d'esprit qui m'échappent pour vouloir parler
sans avoir rien à dire. J'oublierai difficilement celui-là; car,
outre qu'il est par lui-même très mémorable, j'ai dans la tête
qu'il a eu des suites qui ne me le rappellent que trop souvent.
    Je crois que voilà de quoi faire assez comprendre comment,
n'étant pas un sot, j'ai cependant souvent passé pour l'être, même
chez des gens en état de bien juger: d'autant plus malheureux que
ma physionomie et mes yeux promettent davantage, et que cette
attente frustrée rend plus choquante aux autres ma stupidité. Ce
détail, qu'une occasion particulière a fait naître, n'est pas
inutile à ce qui doit suivre. Il contient la clef de bien des
choses extraordinaires qu'on m'a vu faire, et qu'on attribue à une
humeur sauvage que je n'ai point. J'aimerais la société comme un
autre, si je n'étais sûr de m'y montrer non seulement à mon
désavantage, mais tout autre que je ne suis. Le parti que j'ai pris
d'écrire et de me cacher est précisément celui qui me convenait.
Moi présent, on n'aurait jamais su ce que je valais, on ne l'aurait
pas soupçonné même; et c'est ce qui est arrivé à madame Dupin,
quoique femme d'esprit, et quoique j'aie vécu dans sa maison
plusieurs années, elle me l'a dit bien des fois elle-même depuis ce
temps-là. Au reste, tout ceci souffre des exceptions, et j'y
reviendrai dans la suite.
    La mesure de mes talents ainsi fixée, l'état qui me convenait
ainsi désigné, il ne fut plus question, pour la seconde fois, que
de remplir ma vocation. La difficulté fut que je n'avais pas fait
mes études, et que je ne savais pas même assez de latin pour être
prêtre. Madame de Warens imagina de me faire instruire au séminaire
pendant quelque temps. Elle en parla au supérieur. C'était un
lazariste appelé M. Gros, bon petit homme, à moitié borgne, maigre,
grison, le plus spirituel et le moins pédant lazariste que j'aie
connu; ce qui n'est pas beaucoup dire à la vérité.
    Il venait quelquefois chez maman, qui l'accueillait, le
caressait, l'agaçait même, et se faisait quelquefois lacer par lui,
emploi dont il se chargeait assez volontiers. Tandis qu'il était en
fonction, elle courait par la chambre de côté et d'autre, faisait
tantôt ceci, tantôt cela. Tiré par le lacet, monsieur le supérieur
suivait en grondant, et disant à tout moment: Mais, madame,
tenez-vous donc. Cela faisait un sujet assez pittoresque.
    M. Gros se prêta de bon cœur au projet de maman. Il se contenta
d'une pension très modique, et se chargea de l'instruction. Il ne
fut question que du consentement de l'évêque, qui non seulement
l'accorda, mais qui voulut payer la pension. Il permit aussi que je
restasse en habit laïque jusqu'à ce qu'on pût juger, par un essai,
du succès qu'on devait espérer.
    Quel changement! Il fallut m'y soumettre. J'allai au séminaire
comme j'aurais été au supplice. La triste maison qu'un séminaire,
surtout pour qui sort de celle d'une aimable femme! J'y portai un
seul livre, que j'avais prié maman de me prêter, et qui me fut
d'une grande ressource. On ne devinera pas quelle sorte de

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