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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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Ce fut un scandale effroyable dans un diocèse
administré très sévèrement. Les prêtres, en bonne règle, ne doivent
faire des enfants qu'à des femmes mariées. Pour avoir manqué à
cette loi de convenance, il fut mis en prison, diffamé, chassé. Je
ne sais s'il aura pu dans la suite rétablir ses affaires: mais le
sentiment de son infortune, profondément gravé dans mon cœur, me
revint quand j'écrivis l'Émile; et, réunissant M. Gâtier avec M.
Gaime, je fis de ces deux dignes prêtres l'original du vicaire
savoyard. Je me flatte que l'imitation n'a pas déshonoré ses
modèles.
    Pendant que j'étais au séminaire, M. d'Aubonne fut obligé de
quitter Annecy. Monsieur l'intendant s'avisa de trouver mauvais
qu'il fît l'amour à sa femme. C'était faire comme le chien du
jardinier; car, quoique madame Corvezi fût aimable, il vivait fort
mal avec elle; des goûts ultramontains la lui rendaient inutile, et
il la traitait si brutalement qu'il fut question de séparation. M.
Corvezi était un vilain homme, noir comme une taupe, fripon comme
une chouette, et qui à force de vexations finit par se faire
chasser lui-même. On dit que les Provençaux se vengent de leurs
ennemis par des chansons: M. d'Aubonne se vengea du sien par une
comédie; il envoya cette pièce à madame de Warens, qui me la fit
voir. Elle me plut, et me fit naître la fantaisie d'en faire une,
pour essayer si j'étais en effet aussi bête que l'auteur l'avait
prononcé: mais ce ne fut qu'à Chambéri que j'exécutai ce projet en
écrivant l'Amant de lui-même. Ainsi quand j'ai dit dans la préface
de cette pièce que je l'avais écrite à dix-huit ans, j'ai menti de
quelques années.
    C'est à peu près à ce temps-ci que se rapporte un événement peu
important en lui-même, mais qui a eu pour moi des suites, et qui a
fait du bruit dans le monde quand je l'avais oublié. Toutes les
semaines j'avais une fois la permission de sortir; je n'ai pas
besoin de dire quel usage j'en faisais. Un dimanche que j'étais
chez maman, le feu prit à un bâtiment des cordeliers attenant à la
maison qu'elle occupait. Ce bâtiment, où était leur four, était
plein jusqu'au comble de fascines sèches. Tout fut embrasé en très
peu de temps: la maison était en grand péril, et couverte par les
flammes que le vent y portait. On se mit en devoir de déménager en
hâte et de porter les meubles dans le jardin, qui était vis-à-vis
mes anciennes fenêtres, et au delà du ruisseau dont j'ai parlé.
J'étais si troublé que je jetais indifféremment par la fenêtre tout
ce qui me tombait sous la main, jusqu'à un gros mortier de pierre,
qu'en tout autre temps j'aurais eu peine à soulever; j'étais prêt à
y jeter de même une grande glace, si quelqu'un ne m'eût retenu. Le
bon Evêque, qui était venu voir maman ce jour-là, ne resta pas non
plus oisif. Il l'emmena dans le jardin, où il se mit en prières
avec elle et tous ceux qui étaient là; en sorte qu'arrivant quelque
temps après, je vis tout le monde à genoux et m'y mis comme les
autres. Durant la prière du saint homme le vent changea, mais si
brusquement et si à propos, que les flammes, qui couvraient la
maison et entraient déjà par les fenêtres, furent portées de
l'autre côté de la cour, et la maison n'eut aucun mal. Deux ans
après, M. de Bernex étant mort, les Antonins, ses anciens
confrères, commencèrent à recueillir les pièces qui pouvaient
servir à sa béatification. A la prière du P. Boudet, je joignis à
ces pièces une attestation du fait que je viens de rapporter, en
quoi je fis bien: mais en quoi je fis mal, ce fut de donner ce fait
pour un miracle. J'avais vu l'Evêque en prière, et durant sa prière
j'avais vu le vent changer, et même très à propos; voilà ce que je
pouvais dire et certifier: mais qu'une de ces deux choses fût la
cause de l'autre, voilà ce que je ne devais pas attester, parce que
je ne pouvais le savoir. Cependant, autant que je puis me rappeler
mes idées, alors sincèrement catholique, j'étais de bonne foi.
L'amour du merveilleux, si naturel au cœur humain, ma vénération
pour ce vertueux prélat, l'orgueil secret d'avoir peut-être
contribué moi-même au miracle, aidèrent à me séduire; et ce qu'il y
a de sûr est que si ce miracle eût été l'effet des plus ardentes
prières, j'aurais bien pu m'en attribuer ma part.
    Plus de trente ans après, lorsque j'eus publié les Lettres de la
Montagne, M. Fréron déterra ce certificat je ne sais

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