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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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assez de hauteur. C'est ainsi que les
chanoines traitaient souvent le pauvre le Maître. Le chantre
surtout, appelé M. l'abbé de Vidonne, qui du reste était un très
galant homme, mais trop plein de sa noblesse, n'avait pas toujours
pour lui les égards que méritaient ses talents; et l'autre
n'endurait pas volontiers ces dédains. Cette année ils eurent
durant la semaine sainte un démêlé plus vif qu'à l'ordinaire dans
un dîner de règle que l'évêque donnait aux chanoines, et où le
Maître était toujours invité. Le chantre lui fit quelque
passe-droit, et lui dit quelque parole dure que celui-ci ne put
digérer. Il prit sur-le-champ la résolution de s'enfuir la nuit
suivante; et rien ne put l'en faire démordre, quoique madame de
Warens, à qui il alla faire ses adieux, n'épargnât rien pour
l'apaiser. Il ne put renoncer au plaisir de se venger de ses tyrans
en les laissant dans l'embarras aux fêtes de Pâques, temps où l'on
avait le plus grand besoin de lui. Mais ce qui l'embarrassait
lui-même était sa musique qu'il voulait emporter, ce qui n'était
pas facile: elle formait une caisse assez grosse et fort lourde,
qui ne s'emportait pas sous le bras.
    Maman fit ce que j'aurais fait et ce que je ferais encore à sa
place. Après bien des efforts inutiles pour le retenir, le voyant
résolu de partir comme que ce fût, elle prit le parti de l'aider en
tout ce qui dépendait d'elle. J'ose dire qu'elle le devait. Le
Maître s'était consacré, pour ainsi dire, à son service. Soit en ce
qui tenait à son art, soit en ce qui tenait à ses soins, il était
entièrement à ses ordres; et le cœur avec lequel il les suivait
donnait à sa complaisance un nouveau prix. Elle ne faisait donc que
rendre à un ami, dans une occasion essentielle, ce qu'il faisait
pour elle en détail depuis trois ou quatre ans: mais elle avait une
âme qui, pour remplir de pareils devoirs, n'avait pas besoin de
songer que c'en étaient pour elle. Elle me fit venir, m'ordonna de
suivre M. le Maître, au moins jusqu'à Lyon, et de m'attacher à lui
aussi longtemps qu'il aurait besoin de moi. Elle m'a depuis avoué
que le désir de m'éloigner de Venture était entré pour beaucoup
dans cet arrangement. Elle consulta Claude Anet, son fidèle
domestique, pour le transport de la caisse. Il fut d'avis qu'au
lieu de prendre à Annecy une bête de somme, qui nous ferait
infailliblement découvrir, il fallait, quand il serait nuit, porter
la caisse à bras jusqu'à une certaine distance, et louer ensuite un
âne dans un village pour la transporter jusqu'à Seyssel, où, étant
sur terres de France, nous n'aurions plus rien à risquer. Cet avis
fut suivi: nous partîmes le même soir à sept heures; et maman, sous
prétexte de payer ma dépense, grossit la petite bourse du pauvre
petit chat d'un surcroît qui ne lui fut pas inutile. Claude Anet,
le jardinier et moi, portâmes la caisse comme nous pûmes jusqu'au
premier village, où un âne nous relaya; et la même nuit nous nous
rendîmes à Seyssel.
    Je crois avoir déjà remarqué qu'il y a des temps où je suis si
peu semblable à moi-même, qu'on me prendrait pour un autre homme de
caractère tout opposé. On en va voir un exemple. M. Reydelet, curé
de Seyssel, était chanoine de Saint-Pierre, par conséquent de la
connaissance de M. le Maître, et l'un des hommes dont il devait le
plus se cacher. Mon avis fut au contraire d'aller nous présenter à
lui, et lui demander gîte sous quelque prétexte, comme si nous
étions là du consentement du chapitre. Le Maître goûta cette idée
qui rendait sa vengeance moqueuse et plaisante. Nous allâmes donc
effrontément chez M. Reydelet, qui nous reçut très bien. Le Maître
lui dit qu'il allait à Bellay, à la prière de l'évêque, diriger sa
musique aux fêtes de Pâques, qu'il comptait repasser dans peu de
jours; et moi, à l'appui de ce mensonge, j'en enfilai cent autres
si naturels, que M. Reydelet, me trouvant joli garçon, me prit en
amitié et me fit mille caresses. Nous fûmes bien régalés, bien
couchés. M. Reydelet ne savait quelle chère nous faire; et nous
nous séparâmes les meilleurs amis du monde, avec promesse de nous
arrêter plus longtemps au retour. A peine pûmes-nous attendre que
nous fussions seuls pour commencer nos éclats de rire; et j'avoue
qu'ils me reprennent encore en y pensant; car on ne saurait
imaginer une espièglerie mieux soutenue ni plus heureuse. Elle nous
eût égayés durant toute la route, si M.

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