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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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relevés, ornés de quelques fleurs qu'on
mettait à mon arrivée, et qu'on ôtait à mon départ pour se coiffer.
Je ne crains rien tant dans le monde qu'une jolie personne en
déshabillé; je la redouterais cent fois moins parée. Mademoiselle
de Menthon, chez qui j'allais l'après-midi, l'était toujours, et me
faisait une impression tout aussi douce, mais différente. Ses
cheveux était d'un blond cendré: elle était très mignonne, très
timide et très blanche, une voix nette, juste et flûtée, mais qui
n'osait se développer. Elle avait au sein la cicatrice d'une
brûlure d'eau bouillante, qu'un fichu de chenille bleue ne cachait
pas extrêmement. Cette marque attirait quelquefois de ce côté mon
attention, qui bientôt n'était plus pour la cicatrice. Mademoiselle
de Challes, une autre de mes voisines, était une fille faite;
grande, belle carrure, de l'embonpoint: elle avait été très bien.
Ce n'était plus une beauté, mais c'était une personne à citer pour
la bonne grâce, pour l'humeur égale, pour le bon naturel. Sa sœur,
madame de Charly, la plus belle femme de Chambéri, n'apprenait plus
la musique, mais elle la faisait apprendre à sa fille, toute jeune
encore, mais dont la beauté naissante eût promis d'égaler celle de
sa mère, si malheureusement elle n'eût été un peu rousse. J'avais à
la Visitation une petite demoiselle française dont j'ai oublié le
nom, mais qui mérite une place dans la liste de mes préférences.
Elle avait pris le ton lent et traînant des religieuses, et sur ce
ton traînant elle disait des choses très saillantes, qui ne
semblaient point aller avec son maintien. Au reste elle était
paresseuse, n'aimant pas à prendre la peine de montrer son esprit,
et c'était une faveur qu'elle n'accordait pas à tout le monde. Ce
ne fut qu'après un mois ou deux de leçons et de négligence qu'elle
s'avisa de cet expédient pour me rendre plus assidu; car je n'ai
jamais pu prendre sur moi de l'être. Je me plaisais à mes leçons
quand j'y étais, mais je n'aimais pas être obligé de m'y rendre, ni
que l'heure me commandât: en toute chose la gêne et
l'assujettissement me sont insupportables; ils me feraient prendre
en haine le plaisir même. On dit que chez les mahométans un homme
passe au point du jour dans les rues pour ordonner aux maris de
rendre le devoir à leurs femmes. Je serais un mauvais Turc à ces
heures-là.
    J'avais quelques écolières aussi dans la bourgeoisie, et une
entre autres qui fut la cause indirecte d'un changement de
relation, dont j'ai à parler, puisque enfin je dois tout dire. Elle
était fille d'un épicier, et se nommait mademoiselle Lard, vrai
modèle d'une statue grecque, et que je citerais pour la plus belle
fille que j'aie jamais vue, s'il y avait quelque véritable beauté
sans vie et sans âme. Son indolence, sa froideur, son insensibilité
allaient à un point incroyable. Il était également impossible de
lui plaire et de la fâcher: et je suis persuadé que si l'on eût
fait sur elle quelque entreprise, elle aurait laissé faire, non par
goût, mais par stupidité. Sa mère, qui n'en voulait pas courir le
risque, ne la quittait pas d'un pas. En lui faisant apprendre à
chanter, en lui donnant un jeune maître, elle faisait tout de son
mieux pour l'émoustiller; mais cela ne réussit point. Tandis que le
maître agaçait la fille, la mère agaçait le maître, et cela ne
réussissait pas beaucoup mieux. Madame Lard ajoutait à sa vivacité
naturelle toute celle que sa fille aurait dû avoir. C'était un
petit minois éveillé, chiffonné, marqué de petite vérole. Elle
avait de petits yeux très ardents, et un peu rouges, parce qu'elle
y avait presque toujours mal. Tous les matins, quand j'arrivais, je
trouvais prêt mon café à la crème; et la mère ne manquait jamais de
m'accueillir par un baiser bien appliqué sur la bouche, et que par
curiosité j'aurais bien voulu rendre à la fille, pour voir comment
elle l'aurait pris. Au reste, tout cela se faisait si simplement et
si fort sans conséquence, que quand M. Lard était là, les agaceries
et les baisers n'en allaient pas moins leur train. C'était une
bonne pâte d'homme, le vrai père de sa fille, et que sa femme ne
trompait pas parce qu'il n'en était pas besoin.
    Je me prêtais à toutes ces caresses avec ma balourdise
ordinaire, les prenant tout bonnement pour des marques de pure
amitié. J'en étais pourtant importuné quelquefois, car la vive
madame Lard ne laissait pas

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