Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
Vom Netzwerk:
d'être exigeante; et si dans la journée
j'avais passé devant la boutique sans m'arrêter, il y aurait eu du
bruit. Il fallait, quand j'étais pressé, que je prisse un détour
pour passer dans une autre rue, sachant bien qu'il n'était pas
aussi aisé de sortir de chez elle que d'y entrer.
    Madame Lard s'occupait trop de moi pour que je ne m'occupasse
point d'elle. Ses attentions me touchaient beaucoup. J'en parlais à
maman comme d'une chose sans mystère: et quand il y en aurait eu,
je ne lui en aurais pas moins parlé; car lui taire un secret de
quoi que ce fût ne m'eût pas été possible; mon cœur était ouvert
devant elle comme devant Dieu. Elle ne prit pas tout à fait la
chose avec la même simplicité que moi. Elle vit des avances où je
n'avais vu que des amitiés; elle jugea que madame Lard, se faisant
un point d'honneur de me laisser moins sot qu'elle ne m'avait
trouvé, parviendrait de manière ou d'autre à se faire entendre; et,
outre qu'il n'était pas juste qu'une autre femme se chargeât de
l'instruction de son élève, elle avait des motifs plus dignes
d'elle pour me garantir des pièges auxquels mon âge et mon état
m'exposaient. Dans le même temps on m'en tendit un d'une espèce
plus dangereuse, auquel j'échappai, mais qui lui fit sentir que les
dangers qui me menaçaient sans cesse rendaient nécessaires tous les
préservatifs qu'elle y pouvait apporter.
    Madame la comtesse de Menthon, mère d'une de mes écolières,
était une femme de beaucoup d'esprit, et passait pour n'avoir pas
moins de méchanceté. Elle avait été cause, à ce qu'on disait, de
bien des brouilleries, et d'une entre autres qui avait eu des
suites fatales à la maison d'Antremont. Maman avait été assez liée
avec elle pour connaître son caractère: ayant très innocemment
inspiré du goût à quelqu'un sur qui madame de Menthon avait des
prétentions, elle resta chargée auprès d'elle du crime de cette
préférence, quoiqu'elle n'eût été ni recherchée ni acceptée; et
madame de Menthon chercha depuis lors à jouer à sa rivale plusieurs
tours, dont aucun ne réussit. J'en rapporterai un des plus
comiques, par manière d'échantillon. Elles étaient ensemble à la
campagne avec plusieurs gentilshommes du voisinage, et entre autres
l'aspirant en question. Madame de Menthon dit un jour à un de ces
messieurs que madame de Warens n'était qu'une précieuse, qu'elle
n'avait point de goût, qu'elle se mettait mal, qu'elle couvrait sa
gorge comme une bourgeoise. Quant à ce dernier article, lui dit
l'homme, qui était un plaisant, elle a ses raisons, et je sais
qu'elle a un gros vilain rat empreint sur le sein, mais si
ressemblant, qu'on dirait qu'il court. La haine ainsi que l'amour
rend crédule. Madame de Menthon résolut de tirer parti de cette
découverte; et un jour que maman était au jeu avec l'ingrat favori
de la dame, celle-ci prit son temps pour passer derrière sa rivale,
puis renversant à demi sa chaise elle découvrit adroitement son
mouchoir: mais, au lieu du gros rat, le monsieur ne vit qu'un objet
fort différent, qu'il n'était pas plus aisé d'oublier que de voir;
et cela ne fit pas le compte de la dame.
    Je n'étais pas un personnage à occuper madame de Menthon, qui ne
voulait que des gens brillants autour d'elle: cependant elle fit
quelque attention à moi, non pour ma figure, dont assurément elle
ne se souciait point du tout, mais pour l'esprit qu'on me
supposait, et qui m'eût pu rendre utile à ses goûts. Elle en avait
un assez vif pour la satire. Elle aimait à faire des chansons et
des vers sur les gens qui lui déplaisaient. Si elle m'eût trouvé
assez de talent pour lui aider à tourner ses vers, et assez de
complaisance pour les écrire, entre elle et moi nous aurions
bientôt mis Chambéri sens dessus dessous. On serait remonté à la
source de ces libelles; madame de Menthon se serait tirée d'affaire
en me sacrifiant, et j'aurais été enfermé pour le reste de mes
jours peut-être, pour m'apprendre à faire le Phébus avec les
dames.
    Heureusement rien de tout cela n'arriva. Madame de Menthon me
retint à dîner deux ou trois fois pour me faire causer, et trouva
que je n'étais qu'un sot. Je le sentais moi-même, et j'en
gémissais, enviant les talents de mon ami Venture, tandis que
j'aurais dû remercier ma bêtise des périls dont elle me sauvait. Je
demeurai pour madame de Menthon le maître à chanter de sa fille, et
rien de plus; mais je vécus tranquille et toujours bien

Weitere Kostenlose Bücher