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Les conquérants de l'île verte

Les conquérants de l'île verte

Titel: Les conquérants de l'île verte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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main-d’œuvre, voire
d’esclaves. Ils s’efforcèrent donc de dominer les populations autochtones en
les celtisant , c’est-à-dire en leur apprenant leur
langue, leurs coutumes, leurs techniques et leur religion, ce druidisme qui
était commun à l’ensemble des groupes dits celtiques. Et ils leur imposèrent
leurs structures sociales indo-européennes, leur mode de vie, leur façon de
penser. À partir de là, le temps fit son œuvre inéluctable d’assimilation, les autochtones
se révélant bientôt de nouveaux Celtes et les premiers Celtes se retrouvant
eux-mêmes modifiés par l’apport des civilisations indigènes. Ce processus
d’interaction – fort banal – contribua à la formation de ce qu’on appelle
aujourd’hui la civilisation celtique.
    Toutefois, ces vagues successives de migrations et de
brassages ne manquèrent pas de provoquer des déplacements internes de
populations. Les premiers envahisseurs de langue celtique – appelons-les par
commodité les Gaëls – se virent rejetés encore plus à l’ouest : ainsi
s’explique la spécificité de l’Irlande, isolée aux limites extrêmes du monde
ancien, et qui a conservé, plus que tout autre pays à dominante celtique, les
traditions les plus archaïques et les plus révélatrices. « L’évidence de
l’archéologie suggère que les Celtes arrivèrent en Irlande en venant de
Grande-Bretagne : leur route peut être tracée à travers le Cumberland et
le Wigtownshire pour aboutir au nord-est de l’Ulster. » [2] Telle est l’opinion du celtisant irlandais Myles Dillon, tandis que l’un de ses
compatriotes, O’Rahilly, assignait aux Gaëls un itinéraire direct à partir de
la Gaule. Au fond, les deux thèses ne sont pas contradictoires, car il put
intervenir plusieurs migrations. C’est en tout cas ce que les Irlandais du Moyen
Âge prétendaient lorsqu’ils essayaient de reconstituer les âges les plus reculés
de leur histoire. L’essentiel est de savoir que les deux groupes, gaélique et
brittonique, coexistèrent longtemps avant de se figer séparément dans les
moules de l’histoire moderne, et que tous deux avaient une souche commune.
    Or, un arbre ne vit que si la sève qui le parcourt nourrit,
sans distinction de branche, la moindre de ses feuilles. La grande aventure des
Celtes ne s’est réalisée que parce qu’une même sève animait à l’origine l’être
social qui en fut le point de départ. Cette sève, on peut l’identifier à ce
qu’on appelle la Tradition ,
c’est-à-dire à ce qui doit être transmis de génération en génération afin que
chacune d’entre elles conserve le sens d’une certaine identité et les moyens de
l’exprimer à travers les péripéties de l’histoire.
    En premier lieu, cette tradition consiste en un corpus d’informations héritées d’un passé toujours présenté
comme remontant à l’aube de l’humanité, à ce qu’on appelle la nuit des temps.
Et le problème de la tradition celtique se pose alors de façon
incontournable : comment a-t-elle pu se transmettre, puisque sa première
transcription ne date que des premiers siècles du christianisme, et dans le
cadre même de la chrétienté ? On peut certes déplorer que cette absence
d’écriture nous prive de témoignages essentiels pour la connaissance de la
tradition celtique ancienne ; mais cette non-utilisation de l’écriture,
loin d’attester une quelconque incapacité, résultait d’un choix délibéré des
élites Celtes, autrement dit des druides, à la fois prêtres, philosophes,
historiens, poètes et mages. Jules César est parfaitement clair sur ce
point : « Les druides, affirme-t-il, estiment que la religion ne leur
permet pas de confier à l’écriture la matière de leur enseignement […] parce
qu’ils ne veulent pas que leur doctrine soit divulguée ni que, d’autre part,
leurs élèves, se fiant à l’écriture, négligent leur mémoire » ( De bello gallico , VI, 14). Voilà d’ailleurs pourquoi les
disciples des druides apprenaient, pendant une vingtaine d’années, des milliers
de vers qui résumaient, de manière mnémotechnique, l’ensemble de la tradition
celtique.
    L’existence d’une telle tradition orale est largement
attestée. Le Grec Strabon (IV, 4) dit que les poètes des Celtes sont « les
bardes, c’est-à-dire les chantres sacrés ». Un autre Grec, Diodore de
Sicile, fournit d’utiles précisions (V, 29 et 31) : « Avant de livrer
bataille, ils chantent

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