Les conquérants de l'île verte
vestiges de ce qui était l’âme des peuples Celtes.
Mais, au fait, qui sont ces derniers ?
La vérité oblige à dire qu’on ne le sait trop. En aucun
cas, il ne peut s’agir d’un groupe racial ou ethnique délimité, tant est vaste
et imprécis leur champ d’action, tant est confuse et contradictoire la
morphologie de ceux qu’on a appelés Celtes et qui comporte autant de petits
bruns trapus que de grands blonds aux yeux bleus. En évoquant, à leur propos,
des peuples parlant une langue celtique , on risquerait
moins de se tromper. Encore faut-il faire la part des choses. Les Cimbres et
les Teutons, qui se firent exterminer par Marius et les Romains, étaient
incontestablement de souche germanique, mais ils portaient des noms
celtiques : Cimbres est le gaulois combroges , signifiant « du même pays » (et qui a
donné le gallois Cymri ) ; Teutons provient d’une racine celtique d’où est issu l’irlandais tuath ,
« tribu », et que l’on reconnaît dans le nom du dieu gaulois Teutatès (ou Toutatis ), littéralement
« père du peuple », et dans le terme générique actuel deutsch , « allemand », ce qui n’est pas un moindre
paradoxe. Quant aux Celtes de la même époque, nouvelle difficulté : la
plupart d’entre eux ne parlent plus une langue celtique, comme en témoignent
certains Bretons armoricains (de Haute Bretagne), un grand nombre de Gallois,
les neuf dixièmes des Irlandais, sans parler des Galiciens ni des autres
peuples européens jadis classés comme Celtes ou soumis à une certaine
domination celtique. D’ailleurs, les auteurs de l’Antiquité classique n’avaient
pas sur ce point de vision plus claire que la nôtre : ils confondent
volontiers Celtes et Germains, ou bien ils font des premiers de vagues
« Hyperboréens », voire des « Cimmériens » vivant dans un
sombre univers aux limites de l’Autre Monde. Le moins qu’on puisse dire est que
les Celtes, dont il est cependant impossible de nier l’existence, sont des
peuples quasi mythiques, ou du moins mythologiques. Cela justifierait amplement
la propension des Celtes à mêler intimement le réel et l’imaginaire et, lorsqu’ils
ont entrepris de fixer leur histoire, à inventer délibérément celle-ci en
fonction de leurs mythes fondateurs.
De toute façon, on eût bien étonné les Gaulois enfermés dans
Alésia si on leur avait affirmé qu’ils étaient des Celtes. Certes, le terme Keltoi existait de longue date, mais il était grec et avait
été utilisé par les historiens grecs par souci de classification. Or, les
Gaulois avaient déjà bien du mal à se sentir Gaulois, comme le prouvent les
difficultés de Vercingétorix et les acrobaties oratoires dont il dut user dans
son discours de Bibracte (mont Beuvray), en 52 avant notre ère, pour tenter
d’assurer une cohésion « patriotique » ou « nationale » à
la coalition de peuples qui avaient pris les armes contre les Romains. Un
Gaulois était avant tout membre d’un « peuple », d’une
« tribu », donc d’un tuath : le reste
n’avait aucune importance. Et il en a toujours été ainsi : « Ni les
Irlandais, ni les Gallois, ni les Bas-Bretons du Moyen Âge ne se donnèrent à
eux-mêmes le nom de “Celtes”. Cette dénomination commune, sous laquelle on
comprend de nos jours les anciens Écossais, Irlandais, Gallois, Cornouaillais
et Bretons, repose sur la ressemblance des langues primitivement parlées par
ces divers peuples et sur une vague parenté ethnique. » [1] Cette constatation est toujours valable et rend compte des difficultés qu’on
peut rencontrer chaque fois qu’on essaie de définir les Celtes, leur tradition
et leur civilisation.
Les Celtes apparaissent dans l’histoire aux environs de l’an 500
avant notre ère, si l’on en croit les auteurs grecs. Cela ne signifie nullement
qu’ils n’eussent point constitué auparavant des groupes sociaux fortement
implantés dans certaines régions de l’Europe. L’archéologie vient ici combler
les défaillances de l’histoire et met en évidence l’apparition d’une nouvelle
forme de civilisation où le fer joue un rôle essentiel. On a nommé cette
période le Premier Âge du Fer, ou encore la Civilisation de Hallstatt, du nom
d’une station archéologique d’Autriche. Il est en effet vraisemblable que le
domaine primitif des Celtes, divisé en principautés indépendantes,
fabuleusement riches et raffinées si l’on en croit le mobilier
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