Les Dames du Graal
déclenché leur furieuse mais aberrante quête de l’impossible. Et quoi qu’il en soit de ces divers travestissements du mythe primitif, il faut bien reconnaître que si devenir roi du Graal est l’équivalent de restituer le royaume de la Pistis Sophia dans toutes ses dignités et prérogatives, la Demoiselle Chauve est un personnage emblématique de cette tentative.
Elle n’agit pas par elle-même. En ce sens, elle est conforme à ce qu’on sait de la femme-soleil telle que l’ont rêvée les Celtes avant d’être convertis au Christianisme, et telle que l’ont considérée les différentes écoles gnostiques à Alexandrie et dans tout l’univers méditerranéen du début de notre ère. Elle n’agit pas parce qu’elle est prisonnière des puissances de l’ombre, ces « puissances trompeuses » qui, en renversant la polarité primordiale à leur profit, font passer les ténèbres pour de la lumière et la lumière originelle pour des ténèbres. Les aventures qui entourent la conquête du Graal sont autant de figurations symboliques de cette tentative pour que la Demoiselle Chauve retrouve enfin sa chevelure, c’est-à-dire toute sa puissance en même temps que toute sa beauté.
Et ce n’est pas Perceval qu’elle entraîne sur cette route incertaine. Perceval ayant trahi sa mission, il faut confier l’épée sacrée à quelqu’un d’autre. « Après avoir quitté la cour d’Arthur, les trois jeunes femmes et leur char tiré par trois cerfs pénètrent dans la forêt et rencontrent un chevalier sur un coursier maigre et décharné. Sa cotte de mailles était rouillée, son bouclier était percé en plus de sept endroits et la couleur en était si effacée qu’on ne pouvait la reconnaître. » Ce chevalier n’est autre que Gauvain, qui déclare qu’il cherche le chemin qui mène chez le Roi Pêcheur. La Demoiselle Chauve l’encourage dans sa détermination, mais elle sollicite de sa bienveillance de l’accompagner jusqu’à un château « qui se trouve dans cette forêt et où il y a quelque danger ». Elle en profite pour dire à Gauvain, qui s’étonne de voir suivre à pied la troisième jeune fille, qu’il lui appartient à lui d’abréger l’épreuve de cette fille, mais que s’il ne réussit pas à pénétrer dans le château du Roi Pêcheur et à poser les fameuses questions, il faudra attendre que le Bon Chevalier ait conquis le Graal. Et c’est ainsi que Gauvain et les trois jeunes femmes arrivent devant une forteresse qu’on lui dira plus tard être celle de l’ Ermite noir , preuve supplémentaire du contexte gnostique qui entoure le personnage de la Demoiselle Chauve.
Gauvain se demande où la jeune femme veut le mener, mais elle ne lui donne aucune explication, lui recommandant instamment de ne pas intervenir quoi qu’il arrive. À ce moment sortent du château cent cinquante-deux chevaliers en armure noire, montés sur des chevaux noirs. « Se précipitant vers les demoiselles et leur char, ils s’emparèrent des cent cinquante-deux têtes, chacun la sienne, les piquèrent au bout de leurs lances et retournèrent au château en manifestant la plus vive satisfaction. » Gauvain est resté immobile pendant cette scène, mais il est plongé dans la plus grande perplexité. La Demoiselle Chauve lui dit simplement que cet acte de sauvagerie ne sera réparé que lors de la venue du « Bon Chevalier ». Puis, elle quitte Gauvain après lui avoir indiqué une direction à suivre, lui affirmant que c’est un de ses vassaux, le Chevalier Couard, qui lui révélera plus tard pourquoi elle porte son bras suspendu à son cou.
Gauvain se lance dans de multiples aventures et finit par rencontrer le Chevalier Couard. Il obtient alors l’explication du bras immobilisé de la Demoiselle Chauve : « C’est de cette main qu’elle a servi du saint Graal le chevalier qui séjourna chez le Roi Pêcheur, et qui omit de demander à quoi servait le Graal ; comme c’est de cette main qu’elle avait tenu la précieuse coupe dans laquelle le sang glorieux coule de la pointe de la lance, elle refuse de s’en servir pour quoi que ce soit avant d’être revenue dans le saint lieu où elle se trouve » ( ibid. ). Le symbole est ici on ne peut plus clair : tant que le royaume de lumière des Gnostiques, en l’occurrence le royaume du Graal, n’aura pas retrouvé sa plénitude, la Pistis Sophia représentée par la Demoiselle Chauve refusera d’exercer sa
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