Les Dames du Graal
Elle en avait bien besoin, car elle était complètement chauve ! » ( Perlesvaux , trad. Marchello-Nizia.)
Mais cette jeune femme a bien d’autres singularités : « Elle portait son bras droit suspendu à son cou par une étole d’or, et elle l’appuyait sur un coussin superbe tout orné de clochettes d’or ; dans sa main, elle tenait la tête d’un roi incrustée d’un sceau d’argent et portant une couronne d’or. » Et elle se trouve sur une mule « blanche comme neige ». À sa suite, la seconde jeune femme monte à la manière d’un jeune homme » et traîne derrière elle « une malle sur laquelle se tenait un petit chien ; elle avait attaché à son cou un bouclier avec des bandes d’argent et d’azur et une croix vermeille, ornée en son centre d’une boucle d’or et de pierreries ». Quant à la troisième, elle « venait à pied, haut troussée comme un garçon, et tenait dans sa main un fouet dont elle excitait les deux montures » ( ibid. ).
Ce spectacle inattendu aiguise la curiosité des chevaliers réunis autour du roi Arthur. Mais la Demoiselle Chauve leur répond : « Le bouclier que porte cette jeune femme appartenait à Joseph, le bon serviteur qui descendit Jésus-Christ de la Croix ; je vous en fais don, à une condition : que vous gardiez ce bouclier pour un chevalier qui viendra le chercher ; vous le ferez suspendre à ce pilier qui est au milieu de la salle et en aurez soin, car personne d’autre que ce chevalier ne pourrait l’enlever de là et l’accrocher à son cou. C’est avec ce bouclier qu’il conquerra le Graal, et il laissera ici en échange un autre bouclier vermeil orné d’un cerf blanc ; et le petit chien que porte cette demoiselle demeurera également ici, et ne manifestera de joie qu’à l’arrivée de ce chevalier » ( ibid. ).
Mais elle n’a pas terminé son message. Elle annonce à Arthur que le Roi Pêcheur a été atteint de langueur . Il ne s’agit pas de sa blessure, mais d’une maladie qui l’a frappé « par la faute de celui qu’il accueillit dans sa demeure, et auquel le « saint » Graal apparut ; parce qu’il n’a pas voulu demander qui l’on en servait, tous les royaumes sont entrés en guerre ». Sans qu’il soit nommé, c’est évidemment Perceval qui est tenu pour responsable de ce nouveau malheur. Et la jeune femme ajoute qu’elle-même a souffert de cet « acte manqué » de celui qui avait pourtant réussi à pénétrer dans le château du Graal. Elle ôte alors sa coiffure, dévoilant ainsi sa tête chauve.
« Seigneur, dit-elle au roi, quand ce chevalier est arrivé chez le riche Roi Pêcheur, j’avais une magnifique chevelure ornée de riches rubans d’or ; parce qu’il n’a pas posé la question attendue, je suis devenue chauve, et je ne retrouverai mes cheveux que lorsqu’un chevalier ira là-bas et posera la question que celui-ci n’a pas posée, ou lorsque viendra celui qui conquerra le Graal » ( ibid. ). Alors, elle continue en décrivant le char tiré par les cerfs et sur lequel se trouvent « cent cinquante têtes de rois. Le riche Roi Pêcheur veut que vous sachiez que ce désastre est arrivé par la faute de celui qui n’a pas demandé qui l’on servait du Graal ». Ainsi donc, la négligence de Perceval a été lourde de conséquences, puisqu’elle a entraîné des guerres inexpiables et la mort de tant de rois. Et la Demoiselle Chauve termine son discours en expliquant que la tête couronnée que tient la seconde jeune femme est celle d’une reine « par qui fut trahi le roi dont je porte la tête ». Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette Demoiselle Chauve n’est pas un personnage épisodique : elle est réellement dépositaire des secrets du Graal et sa mission est de provoquer les chevaliers d’Arthur à partir pour conquérir le Graal et rétablir une situation qui n’est qu’une série de catastrophes en chaîne.
Il semble que, derrière cette accumulation d’événements, et derrière l’aspect profondément chrétien du récit, se dissimulent de curieuses résurgences des théories gnostiques, ce qui n’est certes pas le moins du monde contradictoire avec l’une des sources de la légende du Graal, à savoir le thème de la coupe creusée dans l’émeraude tombée du front de Lucifer lors de la chute des Anges. Certes, la Gnose n’est pas une doctrine monolithique, encore moins un dogme, mais la survivance d’une tradition qui a
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