Les Décombres
Montparnasse, ce qui n’est pas un moyen plus mauvais qu’un autre pour découvrir ensuite ses entreprises et ses méfaits. J’avais peu à peu reconnu les traces du judaïsme dans les œuvres, les systèmes, les logomachies, les snobismes, les symptômes d’anarchie et de décomposition qui me répugnaient le plus, ou qui m’avaient inutilement troublé quand je débarquais sans malice de mes provinces aryennes. L ’Action Française, encore que l’antisémitisme y fût fort en veilleuse depuis 1918, m’avait fourni quelques lumières. En 1933, je commençais à embrasser suffisamment le champ des déprédations judaïques pour apprendre avec une certaine allégresse les bâtonnades des sections d’assaut.
J’habitais une espèce d’atelier, rue Jean-Dolent, juste à côté de la Ligue des Droits de l’Homme. Les exclus du Reich y accouraient par trains entiers, comme à un vrai consulat, pour recevoir, par la grâce de Victor Basch et d’Émile Kahn, tous les sacrements et passe-partout républicains, toutes les libertés de proliférer et de nuire. J’avais eu tout loisir pour contempler durant des mois ce défilé de cauchemar, la gueule crochue et verdâtre du socialisme international.
Pourtant, nous avions encore la candeur, cette année-là, de chicaner l’antisémitisme systématique des Hitlériens. Je regrettais la condamnation du cinéma de Neubabelsberg. Il était entendu que nous aurions su distinguer, quant à nous, entre les artistes originaux et les mercantis ou les agitateurs. J’essayais d’expliquer dans des chroniques assez emberlificotées comment l’Allemagne allait se priver d’un levain précieux par l’outrance de son germanisme. Bref, nous entrouvrions notre porte à tous les virtuoses du pilpoul. Ces arguties allaient être balayées promptement par mon premier voyage, l’été de la même année, dans la Palestine d’Autriche, de Hongrie et de Roumanie, où je m’étais enfoncé des jours entiers dans les sentines des ghettos comme on plongerait dans un égout pestilentiel pour découvrir un secret, par le scandale Stavisky, et surtout l’afflux de ces émigrés dont les ambitions et le cynisme ne cessaient de croître avec le nombre. Mes meilleurs amis du journalisme, et moi-même, nous avons été traités en ennemis mortels par les Juifs, qui avaient raison. Nous avions pu pratiquer à l’endroit des Juifs une méfiance traditionnelle dans notre bord : rien ne nous destinait à un antisémitisme agressif. Les Juifs, par leurs œuvres et par leur pullulement, en furent les artisans essentiels.
J’avais vu pour la première fois le drapeau rouge à croix gammée porté dans un faubourg de Bucarest par quelques garçons dont j’ignorais l’étiquette. Je les regardais avec une cordialité si visible, au milieu de l’affreux ghetto où se déroulait la petite cérémonie, qu’ils me tendirent tout un paquet de brochures anti-juives. Mais un retour à Paris par Munich, que j’avais projeté un instant, me semblait encore une aventure assez épineuse.
* * *
Dix mois plus tard, les exécutions du 30 juin soulevaient dans la presse les clameurs horrifiées de la conscience universelle. Je crois bien que c’est à cette occasion qu’on ressortit du placard aux poncifs les ténèbres du Moyen Âge. Hitler était un monstre féodal, coupant les têtes de ses leudes. La boursouflure de ces morceaux d’éloquence était décidément insoutenable. Par contre, je ne me défendais pas d’un vif mouvement d’admiration pour le chef qui venait de fondre lui-même du ciel, l’arme à la main, sur les lieutenants félons – je n’ai jamais pu relire cette « nuit du long couteau » dans un bon récit (celui de Benoist-Méchin est superbe) sans entendre les roulements de timbales et les sombres accords de cuivres qui annoncent dans la Tétralogie les vengeances épiques des dieux. – Je comparais cette foudroyante justice, ce farouche nettoyage, à notre piteuse foirade des journées de février. Je me demandais par quels miracles de procédure ou de casuistique Hitler descendait au rang de Jack l’éventreur, tandis que M. Daladier recevait l’auréole du martyr pour avoir fait fusiller vingt Parisiens, et que nous devenions nous-mêmes des « fascistes assassins » pour avoir essuyé les balles de sa garde.
Quelques semaines après, cependant, à la mort de Dollfuss – dont je devais comprendre par la suite à quel point il pouvait dégoûter
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