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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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les Autrichiens antisémites –, j’aurais été le plus ardent belliciste d’une croisade anti-allemande, comme à chacun des coups de tonnerre qui avaient salué les triomphes du Führer et que les mannequins figés du droit genevois voulaient toujours prendre pour l’annonce de sa chute imminente. Si Adolf Hitler était vraiment le fauve de l’Europe, on avait une belle occasion d’organiser la battue. En me précipitant surL’ Intransigeant qui venait d’annoncer le meurtre, j’aurais voulu qu’une immense tempête suivît aussitôt : « Ce coup-là, ça pourrait bien barder ». – Comme si quoi que ce fût eût pu barder sous un ministère Doumergue.
    Au 15 août suivant, j’arpentais sac au dos les sentiers de la Forêt Noire, avec un de mes amis, marcheur endurci, l’architecte Maurice Crevel. Nous étions là tout simplement pour connaître de nouveaux paysages, et parce que nous les savions favorables aux piétons. Nous ne poursuivions pas le moindre dessein de nous documenter sur la politique allemande. C’était déjà une assez grosse affaire, surtout pour moi, que d’abattre proprement nos quarante kilomètres par jour. Nous avions craint au départ, en braves bougres de Français, les brimades des autorités. Il avait fallu une côte prodigieusement rude, gravie en plein midi, pour que nous nous décidions le premier jour à entrer dans un « Gasthaus » pavoisé d’un gigantesque drapeau hitlérien. Nous savions le lendemain que toutes les « Wirtschafte » et tous les « Gasthauser » arboraient la même oriflamme, ce qui n’empêchait point qu’on y fût hospitalier et souriant pour les deux vagabonds à bérets basques. Au bout de deux jours, nous nous amusions beaucoup à lancer aux nonnes et aux curés un impeccable « Heil Hitler », pour les voir lever leurs grandes manches et les entendre répondre par un « Heil Hitler » plein d’onction.
    Nous n’avions aucun besoin de chercher l’hitlérisme. Il foisonnait partout. Hitler allait se faire élire à la présidence du Reich. Nous étions obsédés par l’immense chef-d’œuvre de publicité qui préparait l’événement. À notre troisième étape, nous avions été surpris à la fin de notre dîner, dans un restaurant comble, par un grand discours de Hitler que déversait la radio. Nous étions très las, nous ne saisissions pas un mot sur quatre, et cela durerait certainement plus d’une heure. Mais j’avais fait signe à mon compagnon que nous resterions assis jusqu’au bout, qu’il serait trop inconvenant de quitter la salle dans un moment dont la ferveur des assistants disait assez la solennité. Dans un autre village, notre hôtesse, une brave ménagère, en nous versant le café du « Frühstück », me demandait avec des yeux candides et brillants : « Que pensez-vous de notre Führer ? » J’avais répondu : « C’est un homme merveilleux », et je crois bien que je commençais à être sincère.
    Quelques jours dans le Reich me prouvaient en tout cas qu’il était absolument superflu d’invoquer les mystères de la nébuleuse germanique, retranchée selon Maurras du reste de l’humanité, le tellurisme romantique, le paganisme d’Odin et la sauvagerie de la forêt hercynienne, pour expliquer le retour le plus naturel à la santé et à l’équilibre d’une nation qui, tout entière, catholiques compris, célébrait dans la joie sa guérison politique. Il fallait bien admettre que l’antisémitisme hitlérien était autrement agissant et cohérent que celui del ’Action Française, tâtonnant, mal défini et bien dépassé par les événements.
    Il faut ajouter encore que toutes les apparences de l’hitlérisme exerçaient sur moi un puissant attrait. J’étais pris d’enthousiasme en voyant sur l’écran les funérailles familières et grandioses du vieux guerrier Hindenburg, le long cortège aux flambeaux dans la lande prussienne et les fanfares jouant doucement « J’avais un camarade » devant le tombeau ouvert, au milieu de l’enceinte fabuleuse de Tannenberg.
    * * *
    Hitler était décidément un maître de la mise en scène. Mais Mussolini venait de marquer le coup d’arrêt du Brenner. Nous y avions vu l’acte politique le plus important et le plus hardi de l’après-guerre. On avait admis une fois pour toutes, après mûres réflexions, que Hitler n’était, avec certains dons wagnériens, qu’un élève du grand initiateur de Rome dont le génie

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