Les Décombres
personnel et ma plus vive ambition seraient uniquement d’écrire des livres de critique et des récits qu’on pût encore relire dans une trentaine d’années.
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La germanophobie systématique du méridional Maurras m’avait toujours fait hausser les épaules. Si l’occasion s’en était offerte, j’aurais sans doute débuté dans les lettres vers 1923, quand je venais d’arriver en Sorbonne, par un essai qui fut aux trois quarts écrit sur le ridicule du pseudoclassicisme maurrassien, avec Papadiamantopoulos, les tambourinaires du félibrige et les alexandrins à faux cols empesés de l’école romane, en face des œuvres immortelles du génie nordique auxquelles il prétendait s’opposer. J’aurais été assez en peine de dire si Wagner, Jean-Sébastien Bach et Nietzsche comptaient plus ou moins dans mon éducation, dans ma petite vue du monde, que Racine ou Poussin. Quelques mois dans les forêts du Nassau, aux bords de la Moselle et du Rhin, parmi les vignes, les petits bourgs gris fleuris de géraniums, m’avaient familiarisé avec des images de l’Allemagne où j’aurais eu bien du mal à faire pénétrer quelque haine.
Mais pour un garçon qui avait quinze ans à la victoire, la suprématie et l’hégémonie de la France ne pouvaient être mises en question. Le journal de Maurras représentait justement le parti du prestige français. Il proclamait que son instrument était la contrainte, sa vocation la vigilance devant le redoutable adversaire enfin hors de combat, et qu’il importait avant tout de maintenir courbé sous les crosses de nos fusils.
Nous n’avions guère à nous demander, moi et bien d’autres, si ces desseins étaient encore compatibles avec notre temps, si l’on pouvait, sans danger pour soi-même et pour le monde entier, maintenir au cœur de l’Europe une grande nation dans un pareil état d’appauvrissement et de servitude, dont le terme fatal serait une décomposition qui risquait de rendre le continent tout entier fort malade. Nous n’avions pas le choix, entre ces extrémités de l’égoïsme français et les ridicules fumées de la fraternité universelle.
Aristide Briand était ainsi le premier homme politique que j’eusse sérieusement détesté, dont j’eusse réclamé l’assassinat comme une mesure de salut public. Il figurait pour nous la démocratie dans son débraillé le plus sordide, dans ses chimères les plus niaises, dans sa plus vulgaire ignorance de l’histoire et des réalités humaines. Retors, doué d’une méprisable habileté pour se maintenir et évoluer dans le bourbier du Parlement, il était cornard dès qu’il s’attablait avec l’étranger pour défendre devant lui les intérêts de la France. Il mettait à l’encan les fruits les plus légitimes de nos terribles sacrifices et de notre victoire, pour nous offrir en échange de risibles parchemins. Il traînait avec lui les plus grotesques et haïssables bonshommes d’un régime manifestement putride, les Herriot, les Sarraut, les Steeg, les Paul-Boncour.
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J’avais donc serré les poings de fureur en voyant, au printemps de 1930, dans un cinéma des boulevards, le dernier défilé de nos capotes bleues sous les tilleuls de Mayence. Les clairons vibraient, les hommes marquaient le pas comme devant un généralissime. Chacun voulait laisser derrière soi, malgré tout, une image fière et encore menaçante. Cette ingénuité militaire me touchait aux larmes. Elle accroissait encore ma révolte devant le tableau de notre force allègrement saccagée. Sambre et Meuse ne changeait rien à notre fuite.
L’année précédente, par le plus pur hasard, mais avec une vive joie, j’avais fait mes débuts de journaliste à l ’Action Française dans une petite rubrique musicale, à quoi s’était ajoutée bientôt la chronique cinématographique, que je signais François Vinneuil, et le secrétariat des pages littéraires. J’avais estimé superflu de m’inscrire parmi les ligueurs, mais j’épousais avec ardeur la plupart des querelles et des raisons politiques du journal.
Dans les jours qui suivirent notre fuite de Mayence, nous aurions tous voulu qu’un coup de théâtre contraignît l’armée française à retraverser le Rhin au son du canon. Mais notre abandon définitif était dans la nature de la démocratie croulante comme l’étaient dans celle de l’Allemagne ces légions de chemises brunes que nous voyions se dresser sur les pas mêmes de nos
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