Les Derniers Jours de Pompéi
esclaves, dans un si court voyage, ne marchaient pas beaucoup plus lentement que les mules. Arbacès ne tarda pas à arriver à l’entrée d’un étroit sentier que les amants n’avaient pas eu la bonne fortune de découvrir, et qui, serpentant à travers les vignes, conduisait promptement à l’habitation de la sorcière. Il quitta alors sa litière, et commandant à ses esclaves de la cacher dans les vignes et de s’y dérober eux-mêmes à la vue de tout promeneur, il monta seul, en s’aidant d’un long bâton, le rude et dur chemin des rochers.
Il ne tombait plus une goutte de pluie du ciel serein ; mais l’eau s’épanchait le long des vignes et formait çà et là des flaques dans les crevasses et dans les ornières du sentier rocailleux.
« Étrange passion pour un philosophe, pensa Arbacès, que celle qui fait lever un homme comme moi presque de son lit de mort, un homme accoutumé, même en santé, à toutes les jouissances du luxe, et qui le conduit dans une nocturne expédition semblable à celle-ci ! mais l’amour et la vengeance, quand ils marchent à leur but, peuvent transformer le Tartare en Élysée. »
La lune, au haut des cieux, répandant une lumière claire et mélancolique sur la route du sombre voyageur, se réfléchissait dans chaque miroir d’eau auprès duquel il passait, ou dormait dans l’ombre sur les flancs de la montagne. Il vit devant lui la même lumière qui avait guidé les pas des deux amants dont il voulait faire ses victimes ; mais, n’ayant plus pour contraste les sombres nuées de l’orage, elle paraissait moins rouge qu’elle ne leur avait paru.
Il s’arrêta, en approchant de la caverne, pour reprendre haleine ; puis, avec le maintien recueilli et majestueux qui lui était habituel, il franchit le seuil mystérieux.
Le renard s’élança encore à la rencontre du visiteur, et annonça, par son grognement, à sa maîtresse l’arrivée du nouveau venu.
La sorcière avait repris son siège et son attitude sépulcrale. À ses pieds, sur un lit de feuilles sèches qui le recouvraient à moitié, reposait le serpent blessé. Mais l’œil pénétrant de l’Égyptien vit ses écailles brillantes à la lueur du foyer, pendant que le reptile se tordait, tantôt allongeant et tantôt raccourcissant ses anneaux, avec une expression à la fois de douleur et de courroux.
« Silence, esclave ! dit encore la sorcière au renard, et l’animal se recoucha comme il l’avait déjà fait, muet et vigilant.
– Lève-toi, servante de la nuit et de l’Érèbe, dit Arbacès avec autorité ; un être supérieur à toi dans ton art te salue. Lève-toi et fais-lui bon accueil. »
À ces mots, la sorcière tourna la tête et jeta un regard sur la taille majestueuse et sur les sombres traits de l’Égyptien. Elle le regarda longtemps et fixement, pendant qu’il se tenait devant elle, dans sa robe orientale, les bras croisés et le front haut et imposant.
« Qui es-tu, dit-elle enfin, toi qui te prétends plus élevé dans l’art que la sorcière des champs brûlés, et la fille de la race détruite des Étrusques ?
– Je suis, répondit Arbacès, celui dont tous ceux qui cultivent la magie, du nord au sud, de l’est à l’ouest, depuis le Gange et le Nil jusqu’aux vallées de la Thessalie et aux rives du Tibre jaune, sollicitent les leçons.
– Il n’y a qu’un seul être de cette espèce dans le pays, répondit la sorcière, celui que les hommes du monde entier, qui ignorent ses sublimes attributs et sa secrète renommée, appellent Arbacès l’Égyptien. Pour nous, d’une nature plus haute et d’un savoir plus profond, son nom véritable est Hermès à la Ceinture flamboyante.
– Regarde donc, reprit Arbacès, je suis cet homme. »
En prononçant ces paroles, il ouvrit sa robe et fit voir une ceinture couleur de feu qui semblait brûler autour de sa taille, ceinture retenue au milieu par un anneau sur lequel était gravé un signe en apparence vague et inintelligible, mais qui n’était pas évidemment inconnu à la sorcière. Elle se hâta de se lever et se jeta aux pieds d’Arbacès.
« J’ai vu, dit-elle d’une voix excessivement humble, le seigneur de la Ceinture flamboyante… Qu’il reçoive mon hommage.
– Lève-toi, dit l’Égyptien, j’ai besoin de toi. »
Il s’assit en même temps sur la poutre où s’était assise Ione, et fit signe à la sorcière de reprendre son siège.
« Tu dis, reprit-il quand elle eut
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