Les Derniers Jours de Pompéi
c’était un signe de mépris. Comment aurait-il pu croire qu’elle eût tant de présomption ? Ses sentiments pour Ione variaient et flottaient d’heure en heure ; elle l’aimait parce qu’il l’aimait ; le même motif la lui faisait haïr. Il y avait des moments où elle eût tué sa maîtresse, qui ignorait ses souffrances, et d’autres où elle aurait donné sa vie pour elle. Ces fortes et timides alternatives de la passion étaient trop vives pour pouvoir se supporter longtemps. Sa santé en souffrit, quoiqu’elle ne s’en aperçût pas. Ses joues pâlirent, ses pas devinrent plus faibles, les larmes vinrent plus fréquemment à ses yeux et sans la soulager.
Un matin où elle se rendait, selon sa coutume, au jardin de l’Athénien, elle rencontra Glaucus sous les colonnes du péristyle, avec un marchand de la ville : il choisissait des bijoux pour sa fiancée. Il avait déjà fait arranger son appartement ; les bijoux qu’il acheta ce jour-là y furent placés : ils n’étaient pas destinés à parer et à embellir encore Ione. On peut les voir aujourd’hui parmi les trésors exhumés à Pompéi, dans la chambre des Études, à Naples {44} .
« Viens ici, ma Nydia, mets à terre ce vase ; viens, cette chaîne est pour toi. Viens. Je veux la mettre à ton cou. L’y voilà. Ne lui va-t-elle pas bien, Servilius ?
– Admirablement, répondit le joaillier car les joailliers étaient aussi bien élevés et aussi flatteurs que de nos jours ; mais lorsque ces boucles d’oreilles orneront la tête de votre Ione, c’est alors, par Bacchus ! que vous verrez ce que mes bijoux peuvent ajouter à la beauté.
– Ione », répéta Nydia, qui jusque-là avait marqué sa reconnaissance à Glaucus par son sourire et par sa rougeur.
« Oui, répliqua l’Athénien en jouant nonchalamment avec les bijoux, je suis en train de choisir ces présents pour Ione, mais je ne trouve rien qui soit digne d’elle. »
Comme il achevait de parler, il fut surpris d’un brusque mouvement de Nydia. Elle arracha violemment la chaîne de son cou et la jeta à terre.
« Qu’est-ce cela, Nydia ? cette bagatelle ne te convient-elle pas ? t’ai-je offensée ?
– Vous me traitez toujours comme une esclave et comme un enfant », reprit la Thessalienne, le cœur gros de soupirs qu’elle ne pouvait contenir ; et elle passa rapidement à l’extrémité du jardin.
Glaucus n’essaya pas de la suivre ni de la consoler : il était offensé. Il continua d’examiner les joyaux et de faire des observations sur leur façon, de repousser l’un, d’accepter l’autre ; et enfin il se laissa persuader par le marchand d’acheter le tout. C’est le plan le plus sage pour un amant, et que chacun ferait bien d’adopter, pourvu toutefois qu’il ait rencontré une Ione. Lorsqu’il eut complété ses achats et renvoyé le joaillier, il se retira dans sa chambre, s’habilla, monta dans son char et se dirigea vers la maison d’Ione. Il ne pensa plus à la pauvre fille aveugle ni à son offense : il avait oublié l’une et l’autre. Il passa la matinée avec la belle Napolitaine, alla ensuite aux bains, soupa (si nous pouvons nous servir de ce mot pour le repas des Romains à trois heures) seul et dehors, car Pompéi avait ses restaurateurs. Il revint ensuite changer de toilette, passa dans le péristyle, mais avec l’esprit absorbé et les yeux distraits d’un homme amoureux, et n’aperçut pas la pauvre fille aveugle, demeurée à la place où il l’avait laissée. Bien qu’il ne l’eût pas vue, elle reconnut à l’instant son pas. Elle avait compté les moments jusqu’à son retour. À peine était-il entré dans sa chambre favorite, qui ouvrait sur le péristyle, et s’était-il assis, rêveur, sur son lit de repos, qu’il sentit sa robe timidement tirée, et qu’il vit Nydia à genoux devant lui et lui présentant une poignée de fleurs, comme gage de paix. Ses yeux, levés sur lui, étaient baignés de larmes.
« Je t’ai offensé, dit-elle en soupirant, et pour la première fois ; je voudrais plutôt mourir que de te causer un instant de chagrin. Vois, j’ai repris ta chaîne, je l’ai mise à mon cou ; je ne la quitterai jamais : c’est un don de toi !
– Ma chère Nydia, répondit Glaucus en la relevant et en baisant son front, ne pense plus à cela. Mais pourquoi, mon enfant, cette colère soudaine ? je n’ai pu en deviner la cause.
– Ne me la demande pas, dit-elle avec
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