Les Dieux S'amusent
Jupiter, dont elle était aussi la sœur. Elle lui donna trois enfants, qui
furent des divinités de première grandeur et dont je parlerai bientôt. Par sa
naissance et son mariage, elle était la première des déesses ; mais elle
était aussi la plus antipathique d’entre elles. Grande et belle, mais d’une
beauté froide, pareille à celle d’une statue de marbre, elle était vaniteuse, susceptible
et acariâtre. Elle se croyait supérieure à tout le monde, disait du mal de
toutes les déesses et de toutes les femmes, ne cessait de faire des reproches à
son mari et lui cachait ses bouteilles de nectar lorsqu’elle trouvait qu’il
buvait trop. Surtout, lorsqu’à tort ou à raison elle soupçonnait une femme ou
une déesse d’avoir une liaison avec Jupiter, elle la poursuivait d’une haine
implacable jusqu’à ce qu’elle en eût tiré vengeance. Or, il faut bien le dire, les
occasions d’être jalouse ne lui manquèrent pas.
Léda
Un jour, Jupiter se mit en tête de faire la conquête d’une
jeune reine, nommée Léda, femme du roi de Sparte, Tyndare. Il ne savait comment
s’approcher d’elle sans l’effaroucher, car elle était d’un naturel timide. Ayant
observé qu’elle aimait se promener au bord d’un lac où nageaient de beaux
cygnes, et qu’elle paraissait avoir pour ces volatiles une prédilection
particulière, Jupiter se changea lui-même en cygne et ordonna à son aigle de
faire semblant de le pourchasser dans les airs, au-dessus du lac que longeait
Léda. Émue par les cris déchirants du faux cygne, Léda lui offrit la protection
de ses bras. Dès qu’il fut dans la place, Jupiter reprit sa forme humaine, ou
plutôt divine, et profita sans vergogne de la situation. Mise au courant de
cette aventure par quelque mauvaise langue, Junon, qui n’osait s’en prendre à
son mari dont elle craignait les foudres, se vengea sur l’infortunée Léda en
mettant dans son ventre, par une opération surnaturelle, deux œufs si gros que,
lorsque Léda les mit au monde, elle en mourut.
De l’un de ces œufs sortirent deux sœurs jumelles, Hélène et
Clytemnestre, et de l’autre, deux frères jumeaux, Castor et Pollux. Par une
bizarrerie génétique dont il ne faut pas me demander l’explication, trois de
ces quatre enfants étaient mortels, et un seul, Pollux, immortel. Nous aurons
plus d’une occasion de reparler d’eux.
Écho
Il arrivait aussi que Junon vît ses vengeances se retourner
contre elle. Un jour, elle apprit qu’une jeune nymphe, nommée Écho, avait eu
avec Jupiter une aventure amoureuse. Pour la punir, faute de pouvoir la tuer (car
Écho était immortelle), elle décida de la priver presque complètement de l’usage
de la parole en ne lui permettant, pour tout discours, que de répéter la
dernière syllabe des phrases qui lui étaient adressées. C’est ainsi que si
quelqu’un disait à Écho : « M’entends-tu ? » Écho ne
pouvait que répondre : « Tu, tu, tu… », ou encore : « Écho,
es-tu là ? Là, là, là… » Cette perverse invention ne tarda pas à
retomber sur le nez de son auteur.
À quelque temps de là, un jour quelle cherchait partout
Jupiter, le soupçonnant de courir encore le jupon, Junon rencontre Écho. Elle
lui demande :
— Sais-tu où est Jupiter ?
— Ter, ter, ter…, ne peut que répondre Écho.
— Je me doute bien qu’il est sur terre, reprend Junon, mais
je veux savoir avec qui se trouve cet époux infâme.
— Fâme, fâme, fâme…, répond Écho.
— Bien sûr qu’il est avec une femme, s’irrite Junon, mais
je veux que tu me dises son nom.
— Non, non, non…, répond Écho.
— Quoi ! je suis trompée, bafouée et, toi, tu te
réjouis ?
— Oui, oui, oui…
Argus
Pour pouvoir mieux surveiller son mari volage, Junon eut
alors l’idée d’avoir recours aux services d’un espion, nommé Argus. Il était
particulièrement efficace, car il possédait cent yeux ; même lorsqu’il
dormait, il en gardait toujours cinquante ouverts. Aucun mouvement de Jupiter n’échappait
donc à Argus, qui en avertissait aussitôt Junon. Pour se débarrasser de cette
surveillance importune, Jupiter eut l’idée de demander à Argus de lui éplucher
des oignons pour faire une omelette. Comme chacun sait, rien ne fait autant
pleurer que d’éplucher des oignons. Les cent yeux de l’espion se mirent à
déverser un véritable torrent de larmes, dans lequel le pauvre Argus se noya. Désespérée
par sa
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