Les Dieux S'amusent
perte, Junon transforma le corps d’Argus en un paon, sur la queue duquel
elle plaça les cent yeux du défunt. La prochaine fois que vous verrez un paon
faire la roue, vous constaterez que l’es yeux d’Argus y sont toujours. Depuis
ce jour, les paons devinrent les animaux favoris de Junon, qui prit l’habitude
de se déplacer dans un char traîné par quatre d’entre eux. Quant à Jupiter, il
put se livrer plus facilement à ses escapades. Deux d’entre elles méritent
encore d’être citées, car les enfants qui en furent les fruits devaient jouer, dans
l’histoire de l’humanité, un rôle éminent.
Sémélé et Bacchus
Pour séduire les mortelles, Jupiter n’hésitait pas à revêtir
les formes les plus diverses, se métamorphosant parfois en cygne, parfois en
taureau, parfois même en pluie. Dans le cas de Sémélé, une jeune princesse
thébaine, il se contenta d’abord de prendre une forme humaine.
Cependant, comme Sémélé lui résistait, il finit par lui
révéler sa véritable identité. Sémélé céda alors à ses avances. Mais, poussée
par l’irrésistible curiosité des filles de Pandore, elle brûlait de savoir de
quoi avait vraiment l’air le maître de l’Olympe.
— Promets-moi de me faire un petit plaisir, dit-elle
une nuit à Jupiter.
Imprudemment, Jupiter promit.
— Montre-toi à moi dans toute la splendeur de ton
apparence divine, lui demanda-t-elle alors.
Jupiter savait qu’aucun mortel ne pouvait supporter une
pareille vision, mais il avait pour principe de toujours tenir ses promesses.
— Tu l’auras voulu, dit-il tristement, et il reprit sa
forme divine.
Aussitôt, Sémélé s’embrasa comme une torche. Elle n’eut que
le temps, avant d’expirer, de crier à Jupiter :
— Sauve ton enfant que je porte en moi !
Jupiter retira prestement du ventre de Sémélé le fœtus de
quelques semaines qui s’y trouvait et, ne sachant qu’en faire, l’introduisit
dans sa propre cuisse. Quelques mois plus tard, au terme d’une gestation sans
histoire, Bacchus sortait de la cuisse de Jupiter.
Parce qu’il était le fils d’une mortelle, Bacchus n’aurait
dû être normalement qu’un demi-dieu ou même un simple héros. Mais, parce qu’il
l’avait lui-même porté et enfanté, Jupiter décida d’en faire un dieu à part
entière.
Lorsqu’il fut grand, Bacchus, qui, du fait sans doute de son
ascendance maternelle, éprouvait une tendresse particulière pour l’espèce
humaine, voulut lui rendre un service éminent. Avant lui, Prométhée avait donné
aux hommes l’Espérance, qui permet de mieux supporter les douleurs physiques et
morales. Ce n’était déjà pas mal, surtout si, comme l’affirment certains
philosophes pessimistes, la réduction de la souffrance est le projet le plus
ambitieux que puissent, avec quelque réalisme, s’assigner les hommes. Mais
Bacchus n’avait lu ni Schopenhauer ni Freud, et il voulait faire mieux que
Prométhée en offrant aux hommes une source inépuisable de plaisirs, de gaieté
et de fêtes. Il leur fit don du vin. Il consacra plusieurs années de sa vie à
propager sur toute la terre la culture de la vigne et le culte du vin. Il
allait de pays en pays, à la tête d’un groupe de faunes, de dryades et de
bacchantes. Deux compagnons, tous deux immortels, ne le quittaient pas. Le
premier, Silène, était un vieillard bedonnant, rubicond et aviné. Il fallait
deux assistants pour le soutenir sur son âne. Le second, Pan, était comme les
faunes, velu et cornu avec des pieds de chèvre. Il ne cessait de poursuivre les
nymphes, mais sa laideur extrême les faisait s’enfuir devant lui, saisies de
peur « panique ». Il se consolait en buvant du vin et en jouant d’une
flûte à cinq tubes qu’il avait inventée. Du haut de l’Olympe, Jupiter regardait
souvent avec indulgence et amusement le joyeux cortège conduit par Bacchus, et
se sentait alors enclin à partager la tendresse de son fils pour les hommes.
Alcmène et Hercule
Mais l’essentiel de sa tendresse, il le réservait aux femmes.
Au cours de ses fréquentes visites à Sémélé, dans la ville de Thèbes où elle
habitait, il avait remarqué une fort jolie femme appelée Alcmène. Et la
malheureuse Sémélé était à peine morte que Jupiter disposait déjà ses batteries
pour faire la conquête d’Alcmène. Celle-ci était la femme d’un général thébain,
nommé Amphitryon, que son métier obligeait souvent à quitter son domicile. Il
le
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