Les émeraudes Du Prophète
semblant de dormir. De toute évidence il ne l’intéressait pas. Il ne s’en formalisa pas. Avec une grande humilité, il pensa que Morosini aurait peut-être mieux réussi que lui, mais cette jeune femme devait avoir trop de fierté pour partager ses soucis avec le premier venu, fût-il prince et séduisant au possible, et il eut le bon goût de ne pas lui imposer un regard qu’elle eût peut-être fini par trouver pesant.
Parvenu à destination, il se contenta de descendre du filet l’élégant nécessaire de toilette qu’elle y avait posé, de la saluer et de quitter le compartiment pour aller se poster dans la gare à un endroit d’où il lui serait possible d’observer ses mouvements. Un pilier fit l’affaire. De cette cachette, il put alors la voir s’attarder sur le quai en regardant autour d’elle. Sans doute, lorsqu’elle rendait visite à sa sœur, quelqu’un venait-il la chercher. Ne voyant personne – et pour cause ! – elle s’en assombrit un peu plus puis, au bout d’un moment, haussa les épaules avec agacement et se mit en marche vers la sortie. Adalbert suivit, pensant qu’elle allait prendre un taxi mais il la vit partir à pied à travers la grande place ouvrant directement sur la rivière à l’endroit où elle sort du lac. Juste en face, il y avait le port des bateaux assurant la liaison avec les autres localités riveraines et un pont enjambant la Reuss dont les eaux vertes bouillonnaient comme celles d’un torrent. M me Manfredi s’y engagea. Adalbert suivit à distance pensant que la fameuse sœur ne devait pas habiter bien loin de la gare.
Il ne se trompait pas : franchi le pont du lac d’où l’on découvrait une vue splendide sur les montagnes neigeuses d’une part et, d’autre part sur la vieille ville et ses ponts médiévaux couverts de toits protégeant les naïves peintures décorant leurs charpentes, et dont l’un était gardé par une tour plongeant directement dans l’eau, la comtesse obliqua vers une église qu’elle contourna pour piquer droit ensuite sur une ancienne et très belle maison sous le porche de laquelle elle disparut au moment où les allumeurs de réverbères commençaient leur office. La nuit tombait et, l’une après l’autre, les maisons s’éclairaient. Celle qui intéressait Adalbert comme les autres, encore que ce fût avec quelque parcimonie…
Pensant qu’Annalina, constatant qu’on n’y avait aucunement besoin d’elle, n’allait pas tarder à ressortir, Vidal-Pellicorne s’établit dans un renfoncement de l’église où des échafaudages de chantier annonçaient des travaux de ravalement. Il y était parfaitement à l’aise pour observer ce qui se passait en face mais aussi, il s’y trouvait un peu protégé du vent glacial.
Adalbert s’y pelotonna avec résignation pour observer la suite des événements…
Ce même soir, à Lugano, Morosini, dont le téléphone s’obstinait à rester muet, sentit qu’il ne pouvait plus rester là à ne rien faire. Si tout s’était déroulé de façon normale – et il n’y avait aucune raison contre – Taffelberg devait être arrivé. Alors pourquoi ne le prévenait-on pas ainsi qu’il était convenu ? Il était déjà tard et dans la ravissante salle à manger ancienne – le Splendid avait été la villa Merlina ! – le service s’achevait. Incapable d’attendre plus longtemps, Aldo, qui n’avait même pas dîné, descendit à la réception et demanda la voiture qu’on avait dû louer pour lui dans la journée. C’était une petite Fiat assez semblable à celle qu’il avait achetée à Salzbourg. Cela lui parut de bon augure et, heureux d’agir enfin, il démarra allègrement en dépit de la pluie qui tombait dru depuis quatre heures de l’après-midi. À cause du temps et de l’heure déjà tardive il y avait peu d’animation dans la ville mais il n’y en eut plus du tout quand il en fut sorti. Au-delà du rideau liquide que l’essuie-glace combattait courageusement, la route était vide, luisante et triste. On ne voyait même pas le lac réduit à l’état de trou noir…
En arrivant à la villa Clementina, il ralentit et s’arrêta : la grille d’entrée était grande ouverte mais la maison obscure, ce qui était tout à fait anormal. En admettant que Manfredi se soit absenté, ce qui était impensable puisqu’il attendait Taffelberg ! Guidé par son instinct, Aldo se garda de franchir l’élégant ouvrage de fer forgé, rangea sa voiture
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