Les émeraudes Du Prophète
mit à rire à grands éclats qui ressemblaient à des sanglots :
— Un dieu comme vous, peut-être ? Vous êtes impayable, Taffelberg ! Croyez-vous que j’ignore vos sentiments envers elle ? Si toutefois il s’agit de sentiments. Elle n’y a d’ailleurs jamais répondu, même par ennui ou par lassitude un soir de spleen.
— Qu’en savez-vous ? Qui vous dit qu’une nuit je ne l’ai pas tenue dans mes bras ?
— Une nuit peut-être… mais pas deux ! Elle a dû comprendre ce que vous étiez…
— C’est faux ! Je l’aurais gardée si vous n’étiez arrivé, vous et votre suffisance ! Au temps de son époux j’étais son confident, son seul véritable ami et c’est vous qui nous avez séparés. Je vous ai haï alors et, à présent, je vous exècre.
Manfredi haussa les épaules :
— Pas moi. Vous n’en valez pas la peine.
Taffelberg ébaucha le geste de se jeter sur lui mais se retint, se contentant d’agiter légèrement son arme :
— Pensez de moi ce que vous voulez. Cela n’empêche que vous ne soyez en mon pouvoir. À présent, assez parlé : ôtez-lui ses joyaux !
— Que je… ah non ! Je refuse d’y toucher !
— Il le faut pourtant puisqu’elle vous les a légués. Ensuite vous m’en donnerez décharge pour le notaire de Bregenz…
Dans son coin Morosini écoutait de toutes ses oreilles. Ce duel de deux fureurs au-dessus de cette morte somptueuse avait quelque chose de surréaliste.
Avec une extrême répugnance, Alberto Manfredi s’exécutait, ôtant la tiare, le collier, les bracelets… les boucles d’oreilles qu’il garda dans ses mains :
— Curieux ! pensa-t-il tout haut. Elles ne vont pas avec le reste de la parure. Pourtant Fedora ne commettait jamais de fautes en cette matière…
— Elle avait ses raisons. Mettez tout cela dans ce sac, ajouta Taffelberg en tendant une poche de velours noir fermée par un cordon coulissant. Et maintenant, refermez ! Achmet va vous aider à mettre Son Altesse au tombeau qu’elle s’est choisi…
Ce fut fait beaucoup plus vite que Morosini ne s’y attendait. On sentait la hâte d’en finir et Manfredi n’eut pas un geste tendre, ou simplement pieux, pour cette femme qui voulait être sienne au-delà de la mort, en replaçant la mousseline sur le visage et le couvercle. La mise en place du cercueil ne prit guère de temps, elle non plus. La force d’Achmet était telle qu’il aurait pu l’effectuer tout seul mais Taffelberg tenait à ce que son ennemi bût le calice jusqu’à la lie. En vérité celui-ci faisait pitié. Blême et tremblant, il s’appuyait à l’une des colonnes de la chapelle pour reprendre haleine :
— Vous voilà… satisfait… je pense ! haleta-t-il tandis que l’Allemand retenait le geste de son serviteur qui s’apprêtait à rejeter la terre mais il était si épuisé qu’il ne le remarqua pas.
— Pas encore tout à fait ! Il faut que vous signiez le document que voilà, dit Taffelberg avec une soudaine douceur. Achmet, ici présent et votre serviteur, tout à l’heure, signeront comme témoins et nous y apposerons votre sceau, ajouta-t-il en désignant la chevalière que le comte portait à la main droite. Ainsi seront remplies les dernières volontés de Son Altesse. Signez de tous vos noms, s’il vous plaît ! Pas d’un vague gribouillis !
Il tendait un stylo décapuchonné que l’autre prit d’un geste machinal pour s’approcher de l’autel où l’épais papier avait été jeté. Voyant venir la fin de son cauchemar, il tremblait moins et ce fut d’une main assez ferme qu’il s’exécuta. Ensuite il se baissa pour ramasser le sac de velours mais Taffelberg, souriant cette fois, s’en empara avant lui :
— C’est ici qu’intervient, dans notre belle histoire, la petite modification que j’entends y apporter. Il vaut mieux, je crois, que je garde ces bijoux dont, au fond, vous ne sauriez que faire.
— Quoi ? s’écria Manfredi ressuscité comme par miracle. Vous voulez…
— Les garder, bien sûr ! Vous-même ne sauriez comment expliquer leur présence à votre épouse que je regrette beaucoup de n’avoir pu saluer. En revanche ils me seront, à moi, d’une grande utilité car, si vous voulez tout savoir, je n’ai pas l’intention de rentrer dans une Allemagne au bord de l’anarchie pour servir de domestique à un vieillard bientôt gâteux et j’ai quitté Hohenburg sans esprit de retour. Avec ça et le peu que je
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