Les émeraudes Du Prophète
d’une beauté saisissante et en prenant place près d’elle comme son geste l’y invitait, Aldo se sentit enveloppé d’un parfum complexe et capiteux comme il n’en avait jamais respiré. Le trouble qu’elle lui avait déjà inspiré le saisit de nouveau. Il voulut le dissiper en posant tout de suite des questions précises :
— L’autre nuit, tu m’as appris que j’allais être en danger. Peux-tu m’en dire davantage ?
— Peut-être, fit-elle en tapant dans ses mains pour faire apparaître le café rituel. Mais tu n’es pas venu que pour cela…
— Et pourquoi d’autre ? Je sais que les brumes de l’avenir se déchirent devant toi… et que tu dis des choses trop vraies.
— C’est ton amie de l’autre soir qui t’a dit cela ? Qu’est-elle au juste pour toi ?
— Rien qu’une amie mais tu devrais le savoir, toi qui vois tout. C’est elle, en effet qui m’a dit cela. Elle était, je crois, aussi satisfaite qu’effrayée…
— C’est une femme étrange qui s’est trompée de siècle. Elle vient de loin, comme moi… mais elle t’a conduit ici et, pour cela, je la bénis…
Morosini fronça le sourcil, repris par son ancienne méfiance :
— Je ne vois pas pourquoi, dit-il sèchement.
— Tu es celui que j’attendais… depuis longtemps.
Il eut un mouvement d’impatience : celle-là aussi, on la lui avait déjà servie. Pour réfréner un début d’irritation, il but une tasse d’un café qui lui parut plus parfumé que jamais :
— Écoute, soupira-t-il, j’ai besoin de ton savoir. Tu m’as dit que j’allais être en danger et je crois que je le suis parce que, ce soir, j’ai reçu ça ! Comme tu peux le voir, c’est court mais très explicite…
Elle ne jeta au papier qu’un coup d’œil dédaigneux :
— Et tu as peur ?
— Non mais je pense que ceci doit être pris au sérieux.
— Sans doute mais, de toute façon, tu dois repartir, alors je te conseille d’obéir…
Déçu et furieux, il se leva si brusquement qu’il manqua renverser la fragile table basse supportant le plateau :
— Si c’est tout ce que tu as à m’apprendre, je te laisse. Je perds mon temps ici…
— Crois-tu ?… Allons, calme-toi et ne déforme pas le sens de mes paroles. Tu partiras parce que ta vie n’est pas ici et ce que tu cherches non plus !
— Que sais-tu de ce que je cherche ?
— Tu cherches les pierres sacrées, celles qui donnent le pouvoir de pénétrer l’avenir et c’est pour ça que tu es en danger…
Cette fois Morosini n’avait plus envie de partir. Il sentait qu’il avait frappé à la bonne porte.
— Mais puisque tu dis qu’elles ne sont plus ici, je ne vois pas pourquoi l’on s’en prendrait à moi ?
— Tes ennemis sont de deux sortes : ceux qui ne veulent à aucun prix que les émeraudes qui ont joué un rôle tragique dans la dynastie la plus respectée reparaissent avec leur histoire et ceux qui veulent que tu les retrouves pour en tirer une fortune.
— Et toi, tu sais où elles se cachent ?
— Je sais où elles sont allées… il y a longtemps…
— Alors dis-moi au moins leur histoire !
— Pas maintenant.
— Quand, alors ? s’écria Morosini qui commençait à s’énerver. Tu sais que je dois partir et même tu me le conseilles, et tu me dis « pas maintenant » ? Alors je répète : quand ?
— Quand nous aurons fait l’amour… Alors, je te dirai tout.
Il la regarda avec une sorte d’horreur incrédule :
— L’amour ? Toi et moi ?
— Et qui d’autre vois-tu ici ? Je veux t’appartenir, ne fût-ce qu’une heure…
— C’est impossible !
— À mon tour de demander pourquoi. Ne suis-je pas assez belle ? fit-elle en étirant parmi les coussins un corps dont les formes se dessinaient sous les voiles.
— Tu es très belle mais puisque apparemment tu sais tout de moi, tu ne dois pas ignorer que, marié depuis peu, j’aime profondément ma femme et qu’on me l’a enlevée. Cela ne dispose guère à batifoler avec une autre…
Le mot, prononcé volontairement, dut la blesser car elle se rembrunit. Ses longs yeux noirs lancèrent un éclair :
— Un prince n’a pas le droit d’être vulgaire. Ce que je veux de toi c’est un accomplissement, celui qui a été écrit pour moi il y a bien longtemps et que toi seul peux me donner. Je ne te demande pas d’oublier ton épouse. Simplement de t’oublier toi-même pendant un moment, d’oublier ta
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