Les émeraudes Du Prophète
d’ailleurs ! affirma Morosini avec aplomb, certain que personne ne viendrait le démentir.
— Pour l’instant nous rien sommes qu’au XVe siècle et nous recherchons un grand personnage qui est, je crois, né ici : le voïvode Vlad Drakul…
— Bien sûr qu’il est né ici ! s’exclama Otto dont la figure prit une expression béate. Je vous montrerai demain sa maison natale qui n’est pas loin. Un sacré bonhomme, le Tepech ! Faisait pas bon être de ses ennemis et même quelquefois de ses amis mais il était brave comme un lion et il a chassé les Turcs. Chez les tziganes, ajouta-t-il avec un coup d’œil à Miarka, l’une des filles qui entendant le nom s’était arrêtée près d’eux, on a pour lui une sorte de vénération…
— Même les femmes ? Dieu sait pourtant qu’elles ont eu à souffrir de lui ! On évoque des femmes enceintes éventrées pour leur arracher l’enfant ou d’autres qui se disaient enceintes dans l’espoir de l’attendrir et qu’il éventrait également pour leur prouver qu’elles avaient tort…
— Les nôtres n’ont jamais eu à s’en plaindre, coupa la tzigane parce que la seule femme qu’il ait jamais aimée était l’une d’entre nous…
L’œil noir de Miarka flambait. Morosini lui offrit en retour un sourire plein de nonchalante ironie :
— Personne ne dit le contraire. La légende veut qu’il ait eu de cette tzigane une fille qui n’a jamais quitté ce pays et qui, à son tour, aurait donné le jour à une autre fille avec la collaboration d’un des tiens et ainsi de suite… Comme si c’était vraisemblable ? ajouta-t-il avec un haussement d’épaules.
Le poing de la jeune femme s’abattit sur la table si violemment que la vaisselle sauta :
— Ce n’est pas une légende mais la seule vérité. Les filles de Vlad et des hommes du vent se sont succédé dans ce pays. Jamais d’autres enfants ! Toujours une fille, une seule, qui le temps venu s’offrait au tzigane de son choix… Leurs noces avaient lieu sous les étoiles dans la nuit indiquée par les devineresses et la femme expulsait son fruit devant les tribus assemblées…
— … Comme une reine du temps jadis ! Si l’on en croit ton histoire, il devrait y en avoir encore une de nos jours ?
— Mais il y en a une ! Seulement…
Brusquement, la fille se tut, cracha par terre et alla reprendre le plateau qu’elle avait posé sur une table libre avant de s’éloigner vers la cuisine.
— Que veut-elle dire ? fit Aldo qui la suivait des yeux.
— Oh !… que les temps changent, exhala Otto. La dernière n’a pas suivi la tradition. Elle n’est plus toute jeune à cette heure et elle n’a jamais eu d’enfant. Avec elle, la chaîne est cassée. D’ailleurs, elle n’habite plus ici…
Les deux amis échangèrent un coup d’œil mais ce fut Adalbert qui demanda d’une voix neutre :
— Où donc alors ?
— Pas très loin. Elle s’est trouvé un vieux château dans les premiers contreforts de la montagne. Elle y vit avec deux valets hongrois, forts comme des Turcs, et des chiens féroces qui tiennent les curieux à l’écart. Même les tziganes qui n’ont peur de rien n’osent pas approcher. Ils se sont contentés de la maudire et d’attendre qu’elle meure.
— Pourquoi donc ?
— Pour s’emparer du cadavre et lui planter un pieu dans la poitrine. Ils disent qu’elle s’est détournée d’eux parce qu’elle a commercé avec le Diable et qu’elle est devenue un vampire. Des voyageurs qui seraient allés là-bas rien seraient jamais revenus…
— Vous y croyez, vous ?
— À quoi ? Aux vampires ? Tout le monde y croit plus ou moins en Transylvanie. Pour Ilona – c’est comme ça qu’elle s’appelle comme ses mères et grand-mères – j’ignore ce qu’il y a de vrai. Les tziganes ont beaucoup d’imagination, vous savez, mais là, je me demande parfois s’ils n’ont pas un peu raison. On dit, chez nous, qu’il n’y a pas de fumée sans feu…
— On le dit chez nous aussi. Et… c’est loin, cette charmante demeure ?
— Environ vingt kilomètres en remontant le cours de la Tirnava Mare… mais ne me dites pas que vous avez l’intention d’y aller voir ?
— Il faudrait bien pourtant, fit Aldo. Je vous rappelle que nous écrivons un livre et cette histoire serait passionnante pour les lecteurs. Quelle conclusion pour celle de Vlad l’Empaleur !
Schaffner alla chercher la bouteille de tsuica et
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