Les émeraudes Du Prophète
griffes de la fille de Dracula !
Le nom le fit tressaillir :
— Dracula ? Mais…
Alors comme tout à l’heure elle se mit à rire :
— Eh oui, mon cher ami, j’ai pu lire, grâce à Reiner, certain livre qui prolonge d’étrange façon la vie de mon ancêtre vénéré. Cela m’a été fort utile pour créer ma propre légende. Les exploits de mon cher Vlad avaient tendance à s’effacer un peu dans les brumes du temps. Ce bouquin ridicule est arrivé à point nommé pour leur ajouter un nouvel élément de terreur…
Elle partit soudain d’un grand éclat de rire qui, dans la lumière des chandelles, fit briller ses dents blanches… et curieusement pointues :
— Cela m’a permis de mieux comprendre le plaisir que pouvait éprouver Vlad à voir trembler devant lui tant de gens cependant courageux. La peur donne à celui qui la génère la puissance… et un merveilleux sentiment de tranquillité ! Mais à présent, je crois que l’heure est venue de nous séparer. En bons amis, j’espère ?
La nuance de menace qui sonna dans les dernières paroles n’échappa pas à Morosini qui s’inclina légèrement :
— N’en doutez pas ! Votre hospitalité est inoubliable, madame…
— Et vous me garderez le secret ? Même si vous devez repartir sans savoir le nom de la princesse ?
— Même ! fit-il avec un sourire qu’il n’eut aucune peine à offrir. (Tandis que se poursuivait la conversation entre lui et l’étrange femme, son cerveau travaillait. Après tout, il en savait assez sur la noblesse européenne et sur le monde réduit des collectionneurs de joyaux pour découvrir sans trop de peine le nom qu’on lui cachait.) Vous avez ma parole.
— Merci ! En ce cas, je vais vous faire raccompagner aux abords du village mais, auparavant, partageons ensemble un peu de ce tokay, le vin des rois !
— Volontiers…
Elle alla prendre d’autres verres et, dans une armoire, une bouteille poussiéreuse, versa le liquide ambré et l’offrit porté à deux mains, comme un calice, avant de se servir elle-même. En un toast muet, ils élevèrent leurs verres avant d’y tremper les lèvres. Avec un vif plaisir pour Aldo le tokay était de grande classe. Mais ce plaisir fut bref à peine eut-il bu, qu’il s’écroulait sur le tapis…
Quand il s’éveilla, une aurore glaciale rosissait l’épaisse couche de neige sur laquelle on l’avait déposé au pied d’un sapin si lourdement chargé que seules ses jambes dépassaient. La tête lourde et la bouche pâteuse – ce tokay était beaucoup plus diabolique que royal ! – il mit quelque temps à rassembler ses idées. Enfin, en se traînant hors de son sapin, il vit qu’on avait eu la bonté de le déposer au bord du chemin et que les toits du village étaient en vue. Réconforté par cette vue et par la sensation d’être toujours vivant, il se mit en route d’un pas encore un peu flageolant. Là-bas, d’ailleurs, au bout du chemin une silhouette venait d’apparaître marchant aussi vite que le permettaient la neige et les ornières. C’était Adalbert et il essaya de se précipiter vers lui en criant :
— Adal !… Me voilà !
Les deux hommes tombèrent dans les bras l’un de l’autre avec une joie qui faisait monter les larmes à leurs yeux :
— Tu es vivant ? Tu es entier ? fit Adalbert en tâtant Aldo sur les bras et le dos. Seigneur, ce que j’ai eu peur !
— Tu retournais là-bas ?
— Bien sûr. À la nuit close j’ai été obligé de ramener Hilary qui mourait de peur et risquait de mourir de froid et cette fois il a bien fallu qu’elle accepte de rester à l’auberge. Je dois dire, à sa décharge, que l’atmosphère n’y est guère réjouissante. Les indigènes sont persuadés que tu es mort et que, moi, j’allais à un trépas certain. On m’a même arrosé d’eau bénite et c’est tout juste s’ils n’ont pas dit les prières des agonisants. Mais toi, tu as vu la fameuse Ilona ?
— Oui et je n’ai pas encore décidé si c’est une folle ou une femme trop bien organisée. Une criminelle, à coup sûr !… Elle a même lu le fameux bouquin de Stoker et elle s’en inspire…
— Et les pierres ? Tu as pu en parler ?
— Elle les a vendues pour acheter le château. Je te raconterai mais loin des oreilles d’Hilary car j’ai dû engager ma parole.
— Et tu sais où elles sont ?
— Elle n’a pas voulu me donner de nom mais je pense qu’on devrait arriver
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