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Les émeraudes Du Prophète

Les émeraudes Du Prophète

Titel: Les émeraudes Du Prophète Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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flottait un parfum que son nez sensible identifia, tandis que son esprit refusait d’admettre sa présence dans ce château de cauchemar : c’était l’Heure Bleue de Guerlain. Mais le plus surprenant était encore la femme qui apparut soudain dans son champ de vision. Grande, blonde, épanouie, encore éclatante en dépit des mèches blanches striant son épaisse chevelure massée en chignon bas sur la nuque, elle était vêtue d’une longue tunique noire parfilée d’argent dont les larges manches et le profond décolleté s’ourlaient de chinchilla.
    — Eh bien, mon cher prince, comment vous sentez-vous ? demanda-t-elle tandis que le réflexe de l’éducation remettait Morosini debout sans même qu’il s’en rendît compte :
    — Bien mais…
    — Surtout ne commettez pas la faute d’émettre le « Où suis-je ? » traditionnel. Vous gâcheriez tout.
    — Je n’en ai pas la moindre intention. Vous êtes, je pense, la comtesse Ilona…
    — Vous pouvez m’appeler ainsi…
    Se détournant de lui, elle alla s’asseoir sur le tabouret du piano et laissa ses mains courir, presque négligemment, sur les touches d’ivoire. Aldo suivit machinalement et vint s’appuyer contre l’instrument pour mieux observer son hôtesse. La musique le renseigna un peu sur ce qu’elle pouvait être : elle jouait les « Liebestraüme » de Liszt et son jeu était brillant mais froid, trop mécanique. Cette sirène manquait d’âme et sans lui laisser le temps d’achever, il posa une première question :
    — Voudriez-vous m’expliquer ?
    — Quoi ?
    — La façon dont j’ai été traité alors que l’on abandonnait mes amis au froid, au danger des loups…
    — Vous devriez vous estimer heureux. Personne, jamais, n’a le droit de franchir le seuil de ce château. Je hais les curieux plus encore que les femmes… Ceux qui pénètrent ici n’en sortent pas vivants. Il faut cela pour préserver ma tranquillité…
    — Alors pourquoi m’avez-vous laissé entrer ?
    — Parce que vous vous appelez Morosini.
    — Et ce nom vous dit quelque chose ?
    — Mais oui…
    Quittant son piano, elle alla se placer devant le portrait du guerrier dont Aldo aurait juré qu’il s’agissait de l’Empaleur sans avoir jamais vu de lui la moindre effigie. De ses longs doigts, elle caressa l’image de bois peint avec une sorte de sensualité :
    — Un certain Paolo Morosini protégeait les comptoirs vénitiens de Dalmatie et cherchait à tisser un réseau d’alliances contre les Turcs. Pour rencontrer Vlad il est venu jusqu’ici et ils sont devenus amis…
    — Et Vlad ne lui a pas offert de s’asseoir sur l’un de ses pieux les mieux aiguisés ? ironisa Morosini. C’est pourtant ainsi qu’il traitait les ambassadeurs…
    — Du Sultan, oui. Pas celui d’une ville qui le fascinait. Ton ancêtre était venu en secret mais il portait des présents, il savait parler, charmer. Il était en outre vaillant et d’une grande beauté. Ils ont partagé… bien des heures privilégiées. Vlad aimait beaucoup Paolo et il n’a jamais changé de sentiments envers lui. Le temps et l’éloignement n’y ont rien fait. Voilà pourquoi moi, sa fille, je te reçois au lieu de lâcher mes chiens sur toi…
    — Mal ! précisa Aldo en notant au passage qu’on lui faisait l’honneur de le tutoyer. Jeter un visiteur dans une geôle glaciale n’est guère courtois…
    — Mais ton ancêtre n’a pas été traité autrement. Vlad a commencé par l’enfermer avec ses gens. Puis il a éprouvé son courage en le faisant amener au lieu où il prenait son repas…
    — … dans son décor préféré : quelques malheureux agonisants sur des pals ?
    Ilona caressa la joue du portrait et sourit :
    — Chacun au monde a ses petits travers !… Il y avait un pieu encore vide. On a déshabillé ton ancêtre et on lui a proposé de se restaurer avant le supplice. Il a accepté, pris place, nu comme Adam, auprès de Vlad et déjeuné comme si de rien n’était en tenant des propos si brillants que celui-ci en a été définitivement charmé. C’est là qu’est née leur amitié…
    Aldo se garda bien de demander jusqu’où elle était allée, cette amitié. Dans la famille on savait bien des choses sur Paolo et ses aventures mais sur celle-ci on était resté discret. Seul le Conseil des Dix {5} avait su peut-être à quoi s’en tenir et encore !… Beau comme un dieu grec, le capitaine de Venise possédait

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