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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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et reconduise à sa
fin. Les violentes harpades de la drogue et du mal, sont tousjours
à nostre perte, puis que la querelle se desmesle chez nous, et que
la drogue est un secours infiable : de sa nature ennemy à
nostre santé, et qui n'à accez en nostre estat que par le trouble.
Laissons un peu faire : L'ordre qui pourvoid aux puces et aux
taulpes, pourvoid aussi aux hommes, qui ont la patience pareille, à
se laisser gouverner, que les puces et les taulpes. Nous avons beau
crier bihore : c'est bien pour nous enroüer, mais non pour
l'avancer. C'est un ordre superbe et impiteux. Nostre crainte,
nostre desespoir, le desgouste et retarde de nostre ayde, au lieu
de l'y convier : Il doibt au mal son cours, comme à la santé.
De se laisser corrompre en faveur de l'un, au prejudice des droits
de l'autre, il ne le fera pas : il tomberoit en desordre.
Suyvons de par Dieu, suyvons. Il meine ceux qui suyvent : ceux
qui ne le suyvent pas, il les entraine, et leur rage, et leur
medecine ensemble. Faittes ordonner une purgation à vostre
cervelle : Elle y sera mieux employée, qu'à vostre
estomach.
    On demandoit à un Lacedemonien, qui l'avoit fait vivre sain si
long temps : L'ignorance de la medecine, respondit-il. Et
Adrian l'Empereur crioit sans cesse en mourant, que la presse des
medecins l'avoit tué.
    Un mauvais luicteur se fit medecin : Courage, luy dit
Diogenes, tu as raison, tu mettras à ceste heure en terre ceux qui
t'y ont mis autresfois.
    Mais ils ont cet heur, selon Nicocles, que le soleil esclaire
leur succez, et la terre cache leur faute : Et outre-cela, ils
ont une façon bien avantageuse, à se servir de toutes sortes
d'evenemens : car ce que la fortune, ce que la nature, ou
quelque autre cause estrangere (desquelles le nombre est infini)
produit en nous de bon et de salutaire, c'est le privilege de la
medecine de se l'attribuer. Tous les heureux succez qui arrivent au
patient, qui est soubs son regime, c'est d'elle qu'il les tient.
Les occasions qui m'ont guery moy, et qui guerissent mille autres,
qui n'appellent point les medecins à leurs secours, ils les
usurpent en leurs subjects : Et quant aux mauvais accidens, ou
ils les desadvoüent tout à fait, en attribuant la coulpe au
patient, par des raisons si vaines, qu'ils n'ont garde de faillir
d'en trouver tousjours assez bon nombre de telles : Il a
descouvert son bras, il a ouy le bruit d'un coche :
    rhedarum transitus arcto
Vicorum inflexu 
:
    on a entrouvert sa fenestre, il s'est couché sur le costé
gauche, ou passé par sa teste quelque pensement penible :
Somme une parolle, un songe, une oeuillade, leur semble suffisante
excuse pour se descharger de faute : Ou, s'il leur plaist, ils
se servent encore de cet empirement, et en font leurs affaires, par
cet autre moyen qui ne leur peut jamais faillir : c'est de
nous payer lors que la maladie se trouve reschaufee par leurs
applications, de l'asseurance qu'ils nous donnent, qu'elle seroit
bien autrement empirée sans leurs remedes. Celuy qu'ils ont jetté
d'un morfondement en une fievre quotidienne, il eust eu sans eux,
la continue. Ils n'ont garde de faire mal leurs besongnes, puis que
le dommage leur revient à profit. Vrayement ils ont raison de
requerir du malade, une application de creance favorable : il
faut qu'elle le soit à la verité en bon escient, et bien souple,
pour s'appliquer à des imaginations si mal aisées à croire.
    Platon disoit bien à propos, qu'il n'appartenoit qu'aux medecins
de mentir en toute liberté, puis que nostre salut despend de la
vanité, et fauceté de leurs promesses.
    Æsope autheur de tres-rare excellence, et duquel peu de gens
descouvrent toutes les graces, est plaisant à nous representer
ceste authorité tyrannique, qu'ils usurpent sur ces pauvres ames
affoiblies et abatuës par le mal, et la crainte : car il
conte, qu'un malade estant interrogé par son medecin, quelle
operation il sentoit des medicamens, qu'il luy avoit donnez :
J'ay fort sué, respondit-il : Cela est bon, dit le
medecin : Une autre fois il luy demanda encore, comme il
s'estoit porté dépuis : J'ay eu un froid extreme, fit-il, et
si ay fort tremblé : Cela est bon, suyvit le medecin : à
la troisiesme fois, il luy demanda de rechef, comment il se
portoit : Je me sens (dit-il) enfler et bouffir comme
d'hydropisie : Voyla qui va bien, adjousta le medecin. L'un de
ses domestiques venant apres à s'enquerir à luy de son estat :
Certes mon amy (respond-il) à force

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