Les fils de Bélial
d’avoir à combattre donnait assurément la fièvre :
– Nous sommes venus en Espagne pour renverser Pèdre et placer Henri sur le trône. C’est fait. Nous n’avons aucune raison de nous attarder en Castille.
– Guesclin est désormais d’un avis différent… Hé ! Hé ! Tu comprends pourquoi… La dame a juré de le compagner partout, sauf évidemment en France. Quant à Henri, sa hardiesse a des limites. Lorsque les chevaliers de chez-nous, ceux d’Angleterre et d’Aragon lui ont annoncé qu’ils pourchasseraient Pèdre jusqu’à Grenade, il les a dissuadés de le faire, les priant de ne pas le laisser seul à Burgos avec son épouse et ses enfants de crainte d’un retour imprévu de son frère… J’y étais et voilà qu’Enrique a pleurniché un peu…
Imitant la voix plaintive de l’Espagnol, Bagerant continua :
– « Seigneurs ! Par Dieu le Tout-Puissant ! Si vous me laissez ici où je n’ai rien vaillant, Pedro reviendra avec tant de gens de guerre qu’il ne me laissera ni cité ni château, voire ni femme ni enfants… » Et puis soudain gonflé d’orgueil et d’espérance : « Seigneurs, où irez-vous faire plus grand bien que de conquérir l’Espagne ? Vous y trouverez assez de Juifs et de faux mécréants, et aussi de Sarrasins qui sont puissants ici… Tuez-les tous ! J’abandonne à vos gens ce qu’ils trouveront. Je ne veux pas un denier vaillant de tout l’avoir. Partagez à vos gens ce qu’ils auront conquis jusqu’à temps que Pedro s’en aille ! » Et la reine est venue vers nous tous en pleurant : « Ah ! Seigneurs, demeurez avec nous. Je vous donnerai bonne solde et vous pourvoirai en or, argent, joyaux… Tout ce que j’ai vaillant ! Je n’aurai ceinture, ni tasse 12 , ni chose quelconque que je ne veuille donner, n’en doutez pas. Quand je devrais boire au verre toute ma vie et n’avoir qu’une robe de bougran (392) , je veux tout donner sans avoir de reste jusqu’à ce que je sois délivrée du tyran. Beaux seigneurs, les Espagnols sont si versatiles qu’ils nous laisseront à l’abandon si Pedro revient à Burgos ! » Et c’est tout juste si la gentilfame ne nous a pas demandé, pour preuve qu’elle les détestait autant que certains d’entre nous, d’occire, pour nous faire la main, tous les Juifs de Burgos 13 .
Tristan n’osa se détourner vers Teresa, mais il vit avec surprise et satisfaction, Paindorge et Lebaudy cracher en signe de mépris.
– Occire la juiverie de Burgos devait plaire à Guesclin.
– Il en avait la bave aux lèvres, mais le Bègue de Villaines a objecté qu’il fallait terminer l’ouvrage commencé ; que les seigneurs de France avaient plus d’intérêt à sauver leur âme à Grenade qu’à Burgos ; qu’ils pouvaient, certes, anéantir les Juifs et les Sarrasins de la cité, mais qu’il convenait, avant leur exécution, d’écraser Pèdre à Tolède ou ailleurs. La reine l’a baisé, je crois bien, sur la bouche. Mais Bertrand voulait demeurer.
– Pour continuer de jouir de sa belle ou pour occire les Juifs ?
– Les deux. Audrehem a déclaré qu’il suivrait ses compères sans barguigner quelle que soit leur décision : occire tous les Juifs ou meurtrir don Pèdre.
– Calveley ?
– Il est tiède et les Juifs ne l’intéressent pas. Peut-être qu’il en est un.
– Sans doute a-t-il du cœur… Un peu plus que les autres. Est-ce tout ?
– Presque, dit Espiote. Il y eut un conseil auquel nous n’avons pas assisté, mais quand ils en sortirent, tous étaient d’accord et réjouis de l’être : Bertrand, le comte de la Marche, Jean de Neuville, Audrehem, sauf les Anglais qui semblaient en retrait de cette grande liesse. « À Tolède », a dit Guesclin. Et l’on fit trousser les harnais pendant qu’il troussait sa dame ; l’on chargea les chariots à mules de tout ce dont on pouvait avoir besoin… Mais le soir, Bertrand atermoyait : sa sefïora moult chérie lui avait demandé de demeurer deux jours encore à Burgos… Nous sommes partis en avant.
– Pourquoi les avez-vous devancés ?
Espiote eut un battement de bras significatif : il n’en savait rien. Le bourc Camus dit qu’il trouvait Burgos déplaisant, « surtout cette église immense comme une ville », Bagerant déclara d’une voix uniforme :
– Je n’aime pas Guesclin : c’est un porc et un coq. J’abomine tous ces nobles qu’il traîne à sa suite. Je
Weitere Kostenlose Bücher