Les héritiers
chimère. Cette pensée devait la rassurer.
Chapitre 27
Incendié quelques années plus tôt, le Skating Ring de Québec avait été remplacé par un nouveau bâtiment destiné
{ la pratique des sports d’hiver. Quatre mille cinq cents personnes s’étaient rassemblées dans le «Patinoir» de Saint-Roch pour assister à la première joute de hockey des Bulldogs dans la Ligue nationale. Bien que membres de celle-ci depuis 1917, ils n’avaient pas participé aux activités du circuit les deux années précédentes, faute de moyens financiers suffisants.
Pour ajouter un peu de piquant { la situation, l’équipe locale affrontait le Canadien de Montréal.
— Ce sont les détenteurs de la coupe Stanley, remarqua Flavie.
Parmi cette foule d’hommes emmitouflés, seules quelques femmes bravaient les interdits pour assister au spectacle. La jolie secrétaire
attirait
les
regards
dans
les
estrades.
Juchée au troisième rang de banquettes un peu branlantes, posées selon un plan incliné pour offrir une meilleure perspective, elle s’offrait { l’examen des amateurs. La majeure partie des spectateurs se tenaient debout le long des murs. Après avoir versé quelques sous, ils jouissaient d’une mauvaise vue sur la glace.
— En 1918, les Canadiens ont terminé les premiers, expliqua Mathieu. Mais le printemps dernier, les séries n’ont pas eu lieu.
— À cause de la grippe espagnole.
— Tu as raison. Un joueur vedette est mort de cette maladie. Pour ne pas empirer la situation, la Ligue a tout arrêté.
Les arénas de ce genre, exigus et mal ventilés, étaient des lieux propices à la contagion. La mesure avait sans doute sauvé la vie de nombreuses personnes.
Il se produisit une certaine commotion chez les partisans quand les membres des deux équipes vinrent occuper leurs bancs respectifs. Ceux du Canadien arboraient un tricot de couleur rouge, avec un CH au milieu de la poitrine, pour Canadien Hockey Club.
Les autres profitaient d’une curieuse compagnie.
— Que fait ce chien affublé d’un chandail parmi eux ?
— Il s’agit de la mascotte du club. Il les accompagne depuis des années.
L’animal se présentait vêtue d’un pull comme les joueurs, avec un « Q » un peu fantaisiste sur le poitrail.
— En réalité, continua son compagnon, avant cette année, le club ne portait pas encore le nom de Bulldogs. Mais les gens ont pris l’habitude de le désigner ainsi { cause du chien.
Ces renseignements intéressaient bien médiocrement la jeune femme. De grosses lampes électriques pendues au plafond jetaient une lumière jaunâtre sur la surface glacée.
L’arbitre Hamel invita les douze joueurs à se placer sur deux lignes au centre de la patinoire, avant de mettre la rondelle en jeu. Avec les gardiens, quatorze athlètes s’activaient en même temps.
— Le Canadien compte plus de joueurs sur son banc, remarqua Flavie. Ce n’est pas normal.
— D’abord, notre équipe est plus pauvre, ces gars-là ne travaillent pas pour rien. Nous ne pouvons en opposer autant. Cependant, un événement fortuit complique encore les choses. L’un des joueurs, McNaughton, n’est pas en uniforme.
— Comment cela ?
Son interlocuteur commença par rire un bon coup avant de préciser :
— Son papa ne veut pas le laisser jouer. Il trouve le hockey professionnel indigne de son fiston.
— C’est un travail difficile, commenta sa compagne, dangereux même.
— Si tu veux. D’un autre côté, ces hommes touchent quelques dizaines de dollars par semaine pour jouer vingt parties tout juste en une saison. En hiver, lorsque de nombreux travailleurs se trouvent au chômage, eux parcourent le Canada en train.
Mathieu suivait des yeux l’action sur la surface glacée.
Depuis peu, le règlement autorisait de faire des passes avant.
Cela procurait un jeu plus enlevant. Pendant cinq bonnes minutes, douze hommes semblèrent voler sur la glace, à la poursuite du morceau de caoutchouc. La défense des Bulldogs se montrait poreuse. Chez les adversaires, Pitre et Lalonde multipliaient les chances de marquer. Bientôt, la rondelle roula dans un coin du filet après avoir frappé le gant de Brophy.
— Mais ce n’est pas juste ! protesta la jeune femme en se prenant d’un nouvel intérêt pour le jeu. Si nos joueurs sont moins nombreux, ils feront moins de changements.
Plus fatigués, ils auront du mal à résister.
— Les meilleurs joueurs restent sur la glace une cinquantaine de minutes
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