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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Dans quelques années, je vous donnerai peut-être des ordres dans un cabinet de médecin, mais ce soir, sur un plancher de danse, je vous suivrai avec une docilité parfaite.
    L’allusion indélicate { sa stature professionnelle le renfrogna bien un peu, mais le rire dans les yeux le ramena à de meilleurs sentiments. Amélie contempla son compagnon assez longuement avant que celui-ci ne comprenne.
    — Voulez-vous danser ?
    — Oui, bien sûr.
    Un moment, les parents contemplèrent leur progéniture qui se déplaçait au rythme de la musique. Marie interrogea Paul du regard.
    — Madame Langlois, puis-je vous inviter ?
    La femme lui présenta un visage terrorisé, avant de dire :
    — Non, je ne sais pas.
    Dans les circonstances, Paul décida de se priver d’inviter sa femme, afin de continuer de tenir compagnie à ces gens.
    — Dans la famille, jugea bon d’expliquer Gérard, personne ne sait danser. Nous avons tous les pieds pris dans du ciment.
    Françoise enregistra l’information. La vie lui réserverait de nombreuses soirées bien sagement assise à une table.
    Puisque les autres membres du clan Langlois n’affichaient aucun désir de se dégourdir les jambes, le constat devait être vrai.

    *****
    La morosité amena les jeunes gens encore dotés de jambes à demeurer sur la piste de danse. Ils revinrent pour le clou de la soirée. Quelques minutes avant minuit, Gérard Langlois sortit une bague de sa poche, bredouilla un engagement de mariage si ampoulé que tout le monde à la table se sentit mal { l’aise.
    — Levons nos verres pour souhaiter bonne chance à ces jeunes gens, intervint Paul Dubuc en se levant. A défaut d’ivresse, au moins nous aurons des bulles.
    Dans les chambres, des gens se délectaient peut-être de champagne. Dans la salle à manger, les flûtes contenaient du soda parfumé d’extraits de fruits. Tout le monde sacrifia au choc entre les verres et aux souhaits de bonheur éternel.
    Mathieu avait promis une danse { sa sœur. Elle vint vers lui quand l’orchestre commença { jouer une valse un peu démodée, alors que le docteur Davoine se dévouait auprès de Flavie.
    Après avoir tourné sur eux-mêmes à quelques reprises, elle lui demanda :
    — Comment te sens-tu ?
    Elle voulait dire devant l’engagement de Françoise.
    — Bien, je pense. Les choses restaient un peu confuses.
    Ce développement vient les clarifier de façon définitive.
    — . . Elle doit certainement l’apprécier.
    Des yeux, Thalie désignait la jolie secrétaire. Elle bavardait avec son partenaire du moment, le visage animé.
    — . . Oui, je suppose. J’ai beau lui avoir répété que c’était fini, elle ne paraissait pas rassurée.
    — Tu l’aurais été, toi, si elle avait soupé tous les dimanches soirs avec un ancien prétendant ?
    Le jeune homme songea à protester, puis il convint :
    — Tu as raison, notre situation n’était pas simple. Elle le devient un peu plus ce soir.

    Mathieu demeura un moment silencieux, avant de demander un ton plus bas :
    — Comment le trouves-tu ?
    — Alcide ? Comme tu peux voir, il paraît plus { l’aise avec ta petite amie qu’avec moi.
    Un petit pincement toucha le garçon. Un peu de jalousie ?
    — Je pense que je l’effraie un peu, reconnut sa sœur avec une grimace.
    — Je pense que tu aimes effrayer les hommes, non? Au lieu de montrer ton côté sensible, romantique, tu te bardes de tes revendications, de tes ambitions.
    — Peut-être cet homme ne m’inspire-t-il pas autre chose.
    Le grand frère se sentit un peu désolé de lui avoir imposé cette présence. Après un bref silence, elle changea encore de sujet.
    — En tout cas, 1919 ne me manquera pas. Quelle affreuse année ! Le second épisode de la grippe espagnole, puis ce ralentissement économique. .
    — J’espère juste que l’orchestre changera de musique avant les premières secondes de 1920. Sinon, ce serait un bien mauvais présage.
    Devant l’interrogation dans les grands yeux d’un bleu si intense qu’ils paraissaient noirs, il ricana :
    — Cette valse, Songe d'automne, d’Archibald Joyce, a été la dernière pièce jouée sur le pont du Titanic, une minute ou deux avant le naufrage.
    — . . Tu dois te tromper. Tout le monde parle de Plus près de toi, mon Dieu.
    Les francophones référaient au cantique Nearer, My God, to Thee sous ce titre.

    — Cela plaît { tout le monde d’imaginer les centaines de personnes condamnées à mort recueillies, en prière. Mais

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