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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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marchait plus vite, oubliait un instant sa fatigue et tourné vers le paysan, s’emportait contre les hommes qui imaginent que leur vie est singulière et refusent d’être un grain de poussière de la route. Il donnait un coup de pied sur une plaque de glace, continuait de monologuer.
    — Tu cries, dit à voix haute le paysan, tu as mal ?
    Paysan du Nord qui n’avait pas écouté ou compris. Lee Lou Ching se taisait, répondait d’un signe, sentait à nouveau la fatigue et retrouvait la cadence régulière de la marche.
    « … Un jour, commençait le paysan, le ciel est comme tous les autres jours – le paysan levait la tête pour montrer les nuages bas – ni plus gris ni plus clair, et toi tu as mal, dedans – il frappait de son poing fermé sa poitrine – comme si tu avais avalé de l’eau brûlante, tu as mal même si la récolte est bonne, tu as mal et c’est la faute de personne, tu as mal à cause de toi seul, tu sais pourquoi toi ? »
    Lee hochait la tête.
    « … Dedans, disait encore le paysan – il se mettait à rire – comme la nuit où tu attends pour la première fois une femme. »
    Il fredonnait, voix grave dans la gorge, rythme lent semblable à celui des chants liturgiques et l’émotion venait à Lee au souvenir du père Bertolini, agenouillé dans la chapelle de la mission. « Celui qui souffre est notre frère, disait souvent Bertolini. De tout ce qui fait ma foi je voudrais que tu ne retiennes que cela, qui est le bien commun des hommes, la braise qu’ils doivent transmettre de siècle en siècle. Le reste, tu l’apprendras, n’est que cendre. »
    Lee posait sa main sur l’épaule du paysan.
    « … Arrêtons-nous », disait-il.
    Ils s’asseyaient sur un talus. Devant eux la campagne blanche, les stries parallèles des sillons, la vague figée d’une colline, quelques arbres dispersés et au loin, sur un sentier, les silhouettes avançant en file, découpées sur l’horizon plombé.
    Lee prenait du tabac, roulait une cigarette qu’il tendait au paysan, puis après avoir préparé la sienne, et alors que la flamme du briquet de cuivre hésitait, que le paysan la protégeait de sa paume, il disait :
    « … Tu marches avec moi, tu as quitté ta maison, les Japonais peuvent nous prendre, nous tuer toi et moi, et je ne sais pas qui tu es. »
    Le paysan tenait sa cigarette avec plusieurs doigts, la cachant presque entièrement, les yeux mi-clos avec une expression ironique.
    « … Je suis un grain de poussière de la route, disait-il en riant. Tu criais cela, non ? Tu t’intéresses à la poussière, toi qui viens de loin et vas plus loin encore ? »
    Lee Lou Ching lui donnait une bourrade, riait à son tour.
    « … Tu es sage, continuait le paysan, un grain de poussière dans l’œil, et tu ne vois plus rien, et ton œil pleure. »
    Ils se turent, demeurèrent ainsi un long moment puis le paysan écrasa dans sa main le mégot de sa cigarette.
    « … J’aime bien le tabac, dit-il. Pour le mal qui est là – il frappait à nouveau sa poitrine – un bon remède. »
    Il se levait.
    « Il faut marcher. »
    « … Ils en ont tué un, racontait Marek Krivenko, l’autre les Japonais ne l’ont pas eu. On l’a amené, il est resté avec nous plus de dix jours, le mauvais temps, le brouillard est noir là-bas, il ne parlait pas, je lui avais prêté une plume, de l’encre, il dessinait, mais pour eux, c’est écrire, ils font comme des petites flammes, des feuilles. »
    Marek buvait le thé en faisant claquer sa langue. Anna Spasskaia était assise devant la fenêtre ouverte. Elle attachait avec du fil brun qu’elle avait réussi à acheter le matin – un miracle – les boutons dorés de la capote de Marek. Ivan, assis à la petite table, crayonnait, la chapka de Marek enfoncée sur la tête.
    « … Sergent, demandait-il, tu commandes à combien d’hommes ? »
    Marek posait la tasse près du lit, s’étirait, marchait vers Ivan.
    « … Toi, dans neuf ou dix ans, quand tu seras soldat, tu seras tout de suite major. »
    « … Je suis Pionnier », répondait Ivan, « chef de brigade ».
    Marek s’appuyait à la fenêtre, une main sur l’épaule d’Anna.
    « … Ici – il avait un moment d’hésitation comme chaque fois qu’il devait appeler Anna. Elle attendait, elle aussi, anxieuse – ici, Mama, reprenait-il enfin, je suis bien, avec toi, avec Ivan. »
    Il se penchait, et aux arbres du boulevard les

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