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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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premières feuilles, l’air comme un duvet.
    « … Là-bas, reprenait Marek, c’est encore la glace partout, les fleuves – il se tournait vers Ivan – on dirait la mer, on ne voit pas l’autre rive. »
    Il y eut un bruit de voix dans le couloir. Anna fit une grimace et un mouvement de tête pour avertir Marek que les autres locataires de l’appartement pouvaient entendre, qu’on n’était sûr de personne. Marek haussa les épaules mais baissa la voix.
    « … Je suis parti dans l’avion du major-général, dit-il. Ils sont venus chercher le Chinois et le major-général a signé lui-même ma permission… »
    Marek s’interrompait, s’asseyait à même le sol, près d’Anna Spasskaia pour qu’elle lui caresse les cheveux, comme autrefois. Mais quand elle fit le geste, que les doigts effleurèrent sa nuque, il lui saisit la main, l’embrassa.
    « … Il m’arrive toujours des choses, dit-il, je crois que je vais tout droit, et hop, ça tourne tout à coup. »
    Anna enfonça son aiguille dans le col de la capote, prit le menton de Marek comme elle l’avait fait le premier jour, plus de dix ans déjà, quand elle l’avait adopté.
    « … Tu as l’air bien », murmura-t-elle.
    Il se laissa aller, la tête contre les genoux d’Anna.
    « Vatouchine, reprenait-il, le major-général, ils le craignent tous là-bas, il est entré dans le dortoir avec le lieutenant Nesterov, notre chef de poste. J’ai salué, Vatouchine est allé vers le Chinois, ils ont parlé anglais, puis il est venu vers moi : “Tu t’es bien conduit sergent, tu es d’où ? “J’ai dit Leningrad. Il m’a demandé ce que je faisais avant. Quand j’ai dit mécanicien de locomotive, il a ri, a parlé à nouveau au Chinois, “Eh bien, tu vas prendre l’avion avec nous. Si tu es prêt dans trois minutes, tu as une permission d’une semaine pour Leningrad”. Une minute après j’étais dehors – Marek riait, se levait, mimait avec des gestes saccadés la manière dont il s’était habillé – j’avais une théière sibérienne, pour toi, dit-il à Anna, mais trop vite, je n’ai rien emporté avec moi. »
    « … La prochaine fois », dit Anna.
    Elle se remit à coudre, l’inquiétude plus forte d’avoir prononcé ces trois mots, comme si d’évoquer l’avenir était défi. Tout était calme pourtant, la guerre lointaine, les queues devant les magasins d’alimentation plus courtes depuis quelques semaines – on disait que les Allemands expédiaient les pommes de terre et le blé par trains entiers et que Staline avait été le plus malin en restant hors de la guerre, et rien n’est pire que la guerre. Le 1 er  mai 1940 avait même été pour Anna un vrai jour de fête. Leningrad pavoisé de soleil, et l’éclat des couleurs vives – le rouge des foulards, l’or des banderoles – dans les vitres des palais des bords de la Neva. Ivan, après le défilé des Komsomols courait vers Anna, elle partait avec lui vers le siège des Fédérations des Travailleurs de l’Enseignement. Les élèves, ces petites filles en jupes noires et blouses blanches, leurs nattes serrées, entouraient Anna et Ivan, timide, se tenait à l’écart. Quand elle disait “voici Ivan, mon fils”, il se blottissait contre Anna, elle le repoussait, lui parlait à l’oreille : « Allons, tu n’es plus un bébé, tu as dix ans, tu es le chef de brigade des Pionniers, allons. » Elle l’abandonnait dans les coulisses, s’asseyait au piano, les filles devant elle, le chef de chœur Gorievitch levait la main d’un geste autoritaire et quand on tirait le rideau, que le chant commençait aigu, vif, Anna oubliait, ni passé ni futur, l’instant seulement, comme si elle était seule dans une forêt et que des milliers d’oiseaux pépient autour d’elle avec l’obstination joyeuse et l’élan des premiers jours de vie.
    Dans le tramway qui les ramenait chez eux, Ivan somnolait, et Anna l’avait couvert de son manteau. Des soldats et des marins riaient sur la plate-forme et Anna s’assombrit, tous ceux qu’elle avait croisés dans ces rues mêmes, dans les Assemblées et Machkine qui n’avait pas connu son fils, Ivan aux cheveux blonds, et Kostia, contre qui elle avait dû témoigner, trois ans passés depuis, mais les mots qu’elle avait prononcés « oui, Monsieur le Président, Kostia Loubanski, mon oncle, a tenté à plusieurs reprises de me faire entrer dans son organisation

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