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Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II

Titel: Les hommes naissent tous le même jour - Crépuscule - Tome II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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couvertures. Elles ne virent d’abord d’Elena que le front, puis les yeux que Maria ferma d’une caresse. « Yeux gelés », avait-elle dit. Elles l’enroulèrent dans un drap, la posèrent sur la luge avec laquelle un an auparavant Ivan glissait dans les jardins de la Dadovaya. Devant le cimetière Okhta elles laissèrent Elena sur la terre, au milieu des autres corps, des cercueils démantelés car les vivants avaient besoin de bois et non les morts.
    Dans l’appartement, elles étaient maintenant seules avec Ivan. Elles brûlaient les portes des deux chambres de Kornevitch. Sacha Kornevitch, qui savait ce qu’il était devenu ? Il avait disparu dès le premier jour de la guerre, ce samedi 22 juin 1941, quand les jasmins commençaient à fleurir sur les quais de la Neva. La nuit était si brève, la plus courte de l’année, l’aube venait, blanche alors que les promeneurs, ces jeunes gens qui chantaient sous les fenêtres de l’appartement d’Anna, avaient à peine cessé leurs chœurs et déjà, la cloche des tramways. Ce jour-là une lettre de Marek, du bout du pays, cachet de la poste d’Irkoutsk. Il l’avait écrite le 1 er  mai 1941, et elle avait mis près de deux mois pour parvenir jusqu’à Leningrad. « Il y a un an, écrivait Marek, j’étais avec vous, le temps est long et court, je crois parfois que vous êtes là, Ivan et toi, et que je vais en levant la tête vous voir devant moi, qu’Ivan va coiffer ma chapka et que nous allons partir, tous les trois, bras dessus, bras dessous, passer devant l’hôtel Astoria, acheter une glace chez Eliseiev, mais je rêve. Si je regarde devant moi, je vois la forêt encore blanche et le ciel toujours gris… »
    Dernière lettre de Marek.
    Anna Spasskaia la relisait souvent. Ivan dormait recroquevillé la tête contre la poitrine d’Anna. Maria Blumen, les doigts enveloppés de chiffons, écrivait, l’encrier posé sur le four afin que l’encre ne gèle pas. Anna, avec des gestes lents pour ne pas réveiller Ivan, sortait le portefeuille qu’elle gardait sous sa blouse. Là ce qu’elle avait de plus précieux, les deux cartes d’alimentation – et si on les perdait, des semaines à attendre leur renouvellement, la mort, donc. Dans les queues devant les centres de distribution du pain, Anna tenait les poings serrés, les bras croisés sur sa poitrine, des voleurs parfois arrachaient les cartes des mains et disparaissaient dans les ruelles qui entourent le marché au foin, non loin de l’appartement d’Anna, dans ce quartier où l’on échangeait des trésors pour un quignon de pain.
    Les cartes étaient toujours là. Anna les lissait de sa paume, dépliait la lettre de Marek, plaçait près d’elle les photos, « ma vie » avait-elle dit à Maria Blumen la première fois où elle les lui avait montrées. « Mes parents. » Une photo, ce devait être vers 1910, ou peut-être, mais oui plus tard cette robe blanche d’Anna, le jour du concours du Conservatoire, en 1914, « juste avant la guerre ». Anna était assise sur l’herbe entre son père et sa mère, lui Boris Spasskaief, les bras en arrière, elle Evguenia tenant Anna par le cou, « je riais, disait Anna, je riais toujours avec maman ».
    « … Vous ne devriez pas, répondait Maria. En ce moment si on se souvient, on se noie, vous ne devriez pas, Anna. »
    Maria Blumen se levait, plaçait ses deux mains sur la théière.
    « … L’eau est presque chaude », disait-elle.
    Elle faisait quelques pas en traînant les pieds.
    « … La radio ne devrait jamais s’interrompre, reprenait-elle. Vous savez, Anna, quand il y a un naufrage, les rescapés se tiennent entre eux, ils forment un cercle, ils chantent, celui qui reste à l’écart, tout seul, il ne lutte plus. La radio, c’est notre cercle. »
    Elle versait l’eau tiède sur quelques brins de thé : « … Nous allons fêter la nouvelle année. À 1942, Anna. » Elle donnait un verre à Anna, l’embrassait, approchait la bougie des photos. L’une représentait Kostia Loubanski, l’oncle d’Anna. Il levait son fusil au milieu des soldats, devant le palais Smolny. C’était 1917 ou 1918. Vingt ans plus tard, on l’avait condamné.
    « … Votre oncle, murmurait Maria, n’est-ce pas celui qu’ils ont jugé ? »
    Elle regarda longuement la photo.
    « Un jour ou l’autre, ajoutait-elle, nous y avons cru, et maintenant même si nous sommes sans illusion, Anna, nous devons croire. »
    Elle

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