Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I
cette ressemblance. Dolorès terre féconde et riche, avait modelé ses enfants à sa seule image.
James Clerkwood remit la photo à sa place, sur le bureau, à droite de la machine à écrire avec laquelle il tapait lui-même les rapports confidentiels qu’il adressait à l’ambassadeur. Puis s’aidant de quelques notes manuscrites, tracées rapidement sur son carnet, il commença à rédiger, s’interrompant souvent, regardant la photo, ses enfants, et au delà, par la fenêtre qui donnait sur la rue Gorki, la nuit indifférente et millénaire.
AMBASSADE DES ÉTATS-UNIS D’AMERIQUE
MOSCOU 21 JUIN 1937
CONFIDENTIEL
Rapport de James Clerkwood, premier conseiller, à l’attention de Monsieur l’Ambassadeur des États-Unis.
Le procès de Kostia Loubanski vient de s’achever devant le Tribunal Suprême de l’Union soviétique, siégeant à Moscou. Après la condamnation à mort du maréchal Toukhachevski, le 12 juin (notre rapport précédent) Kostia Loubanski ne pouvait échapper à la peine capitale.
L’intérêt du procès Loubanski tient au fait que l’accusé a, au cours de la première séance, refusé de se prêter au jeu habituel des aveux. Le procureur, en lisant l’acte d’accusation, avait indiqué que Kostia Loubanski était à plusieurs reprises entré en contact avec des officiers des services de renseignement étrangers. Il précisait notamment que, en poste à l’ambassade soviétique à Berlin, ces rencontres avaient eu lieu au mois de juillet 1934.
Lors de son interrogatoire, Kostia Loubanski a reconnu les faits. Les observateurs présents au procès ont donc pensé que selon la mise en scène désormais parfaitement réglée, Loubanski serait le principal accusateur de lui-même, allant au delà des propos du procureur.
Or, rien ne s’est déroulé comme prévu.
Loubanski, avec détermination, a affirmé que tous les contacts qu’il avait pris l’avaient été sur ordre de ses supérieurs dans le cadre d’une mission qu’il pouvait exposer à huis clos si le tribunal le souhaitait. Il avait à chaque fois communiqué le résultat de ses contacts avec les services étrangers. Cette défense inattendue a surpris les membres de la Cour.
Après une dizaine de minutes la séance du tribunal a été suspendue, le procès renvoyé à deux jours. Le procureur et le président, manifestement affolés, ont donné l’ordre aux gardes de faire sortir Loubanski qui a crié : « Mensonges, mensonges. »
À la reprise du procès, hier, 20 juin, Kostia Loubanski adopta un comportement très différent.
Le tribunal avait, à l’étonnement général, autorisé à nouveau la présence d’observateurs et de journalistes étrangers.
La séance s’est ouverte par une déclaration du président qui indiquait que, au cours des deux jours de suspension, « l’accusé avait été confronté à de nouveaux témoins et de nouvelles preuves qui l’avaient contraint de mettre fin à son système perfide et calomnieux de défense ». Loubanski reconnaissait désormais tous ses torts.
Appuyé à la barre, parlant très lentement, Kostia Loubanski a commencé alors à faire le récit de sa vie. Trahison dès les origines : complicité avec l’ingénieur Boris Spasskaief, avec le trotskiste Machkine pour saboter la production de l’usine Ogirov de Leningrad.
Le procureur a, en brandissant le Chicago News Magazine, affirmé que l’ingénieur Boris Spasskaief, agent de l’impérialisme, vivait aux États-Unis où il s’était enfui avec la complicité de Kostia Loubanski.
Les moments les plus tragiques du procès ont été la comparution des témoins « libres ».
A d’abord été cité un ingénieur de l’usine Ogirov, Kim Kalouguine, qui confirma « l’association criminelle Boris Spasskaief-Kostia Loubanski-Machkine afin de saboter la production ».
« Après la fuite de Spasskaief à l’étranger, devait déclarer Kalouguine, Loubanski et Machkine ont notamment empêché la fabrication de barres d’acier nécessaires à la construction du barrage de Dnieprosk. Quand Machkine a été démasqué par les Services de Sécurité de l’État, Loubanski s’est présenté à l’usine afin de tenter d’obtenir sa libération. »
Le témoin Kalouguine s’est retiré avec les félicitations communistes du procureur et du président de la Cour. Durant toute cette audition, Kostia Loubanski a regardé et écouté avec lassitude et indifférence. Son attitude a changé
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