Les hommes naissent tous le même jour - L'aurore - Tome I

quand le président a appelé Anna Spasskaia. Cette jeune femme s’est présentée accompagnée de son fils Ivan Machkine et de son fils adoptif Marek Krivenko, âgés respectivement de sept et seize ans.
    Si j’insiste dans ce rapport sur les détails qui peuvent paraître anodins, c’est qu’ils me semblent donner seuls le climat d’inquisition qui règne ici.
    À s’en tenir aux dépêches ou aux comptes rendus officiels on risquerait de croire qu’il ne s’agit que de procès politiques ou d’affaires d’espionnage plus ou moins troubles. En fait, les procès – et spécialement celui de Kostia Loubanski riche en rebondissements – éclairent les mécanismes du régime et de la société soviétiques.
    On ne peut imaginer avec certitude les pressions qui ont été exercées sur Anna Spasskaia pour lui arracher ce témoignage contre son oncle Kostia Loubanski. Mais au cours de sa déposition, Anna Spasskaia a éclaté plusieurs fois en sanglots. Elle a hésité à poursuivre et ce ne sont que les questions sévères du procureur qui l’ont forcée à continuer.
    Fille de Boris Spasskaief, épouse de Machkine, nièce de Loubanski, elle est en effet une cible désignée pour un procès de ce type. Le fait qu’elle soit encore en liberté sans aucun doute surveillée, prouve qu’elle a dû donner des gages et l’un d’eux doit être son témoignage au procès Loubanski. Elle a fait état des demandes réitérées de Loubanski afin qu’elle entre au service de réseaux étrangers de sabotage et d’espionnage. Elle a cité le témoignage de son fils adoptif, Marek Krivenko, qui devant la Cour a prêté serment comme membre de l’organisation de jeunesse communiste Komsomol. Le spectacle de cet adolescent récitant que Kostia Loubanski était un agent hitléro-trotskiste, cependant qu’Anna Spasskaia sanglotait, ne peut être oublié.
    Kostia Loubanski n’a à aucun moment regardé les témoins.
    Le fils d’Anna Spasskaia portait comme Marek Krivenko le foulard rouge des Komsomol.
    Le procès de Kostia Loubanski, pour personnalité secondaire que soit l’accusé, marque un nouveau degré dans la mise en scène de l’inquisition communiste. La présence d’adolescents et d’enfants à la barre des témoins n’avait pas jusqu’alors…
    BERLIN 24 JUIN 193 7
    RAPPORT DU COMMANDANT MENNINGER
    AU COLONEL E. KLEIN
    SECTION A 5
    MINISTERE DE LA GUERRE
    ULTRA SECRET
    … La condamnation à Moscou de l’ancien responsable pour l’Europe occidentale du Komintern, Kostia Loubanski, qui fut durant trois ans (1933-1936) en poste à l’ambassade soviétique à Berlin, attire une fois encore l’attention sur les bouleversements qui affectent en ce moment l’Armée rouge, les services de renseignement soviétiques et l’appareil communiste international.
    Il serait aventureux de penser que ces condamnations (maréchal Toukhachevski, Kostia Loubanski, nombreux officiers de rangs élevés) réduisent à l’impuissance les forces militaires russes et les agents de Moscou en Europe. Mais elles nous placent en situation favorable pour connaître l’adversaire et agir contre lui.
    Kostia Loubanski avait par exemple tissé tout un réseau d’informateurs que nous commençons à identifier.
    Le passage récent à notre service de Pavel Probichev, officier du N.K.V.D . qui fut, en même temps que Kostia Loubanski, affecté à l’ambassade à Berlin, et qui a craint, semble-t-il, de rentrer en U.R.S.S ., nous a permis de reconstituer une partie du réseau Loubanski.
    Le risque demeure cependant que Probichev ne soit en fait un agent destiné à li vrer ceux qu’à Moscou on considère comme perdus ou nuisibles.
    Il est sûr en tout cas que Probichev – et peut-être Loubanski lui-même – ne connaissait qu’une partie des agents travaillant pour Moscou et que beaucoup d’entre eux demeurent immergés.
    L’un des éléments forts du réseau Loubanski était Sarah Berelovitz.
    Juive, née à Varsovie, le 1 er   janvier 1900, cette pianiste de réputation internationale a été mariée à Charles Weber, Français d’origine alsacienne (voir note séparée).
    Divorcée, Sarah Berelovitz vit en concubinage notoire avec un haut fonctionnaire français, Serge Cordelier, qui fit partie de l’administration française en Allemagne lors de l’occupation de la Ruhr.
    Nommé au ministère des Affaires étrangères, il y occupa différents postes, accomplit de nombreuses missions notamment aux