Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
un autre
Opiniâtre, Ryan, qui souffrait fort de la goutte, on serra les
doigts avec des cordes, on brûla de la poudre dans les oreilles, on
planta des épingles sous ses ongles, on perça les cuisses à coups
de sabre et de baïonnette, et enfin l’on mit du sel et du vinaigre
dans ses mille blessures saignantes.
La plus cruelle torture morale que les soldats
eussent imaginée était celle-ci : Quand l’opiniâtre était une
mère, allaitant son enfant, ils la liaient à la quenouille du lit
et mettaient son enfant sur un siège, placé vis-à-vis d’elle, mais
hors de sa portée. Pendant des journées entières, on les laissait
tous deux ainsi, le supplice de l’enfant, criant et pleurant pour
demander sa nourriture, faisait la torture de la mère. La mort de
l’enfant ou l’abjuration de la mère pouvaient seules mettre fin à
ce cruel supplice, et c’est toujours la mère qui cédait.
« Comment en eût-il été autrement ? dit Michelet. Toute
la nature se soulevait de douleur, la pléthore du sein qui brûlait
d’allaiter, le violent transport qui se faisait, la tête échappait.
La mère ne se connaissait plus, et disait tout ce qu’on voulait
pour être déliée, aller à son enfant et le nourrir, mais dans ce
bonheur, que de regrets ! L’enfant, avec le lait, recevait des
torrents de larmes. »
Au début des dragonnades, pour ajouter la
torture morale aux tortures physiques, on tourmentait les divers
membres d’une famille, les uns devant les autres, mais on ne tarda
pas à s’apercevoir que le calcul était mauvais, les victimes
s’encourageant mutuellement l’une l’autre à souffrir courageusement
pour la foi commune.
On se décida donc,
pour forcer plus
aisément les conversions
, dit une lettre du temps, à séparer
les membres de la famille, à les disperser dans les chambres,
cabinets, caves et greniers de la maison pour les torturer
isolément.
« Le roi approuve que vous fassiez
séparer les gens de la religion réformée
pour les empêcher de
se fortifier les uns les autres »
écrit Louvois à
l’intendant, occupé à faire dragonner la ville de Sedan. Cette
tactique de l’isolement parut tellement efficace au gouvernement
que, plus d’une fois, il enferma dans des couvents ou dans des
prisons éloignées certains membres ; d’une famille, tandis que
les autres restaient livrés aux mains des dragons.
Pontchartrain, pour venir à bout de
Mme Fonpatour et de ses trois filles, toutes quatre fort
opiniâtres, les fit séparer et enfermer dans quatre couvents
différents. Fénelon demandait qu’on refusât aux nouveaux convertis
la permission de voir leurs parents prisonniers et disait qu’il ne
faudrait même pas que les prisonniers eussent entre eux la liberté
de se voir. Les dragons à Bergerac avaient perfectionné cette
pratique de l’isolement des gens à convertir, en y ajoutant la
privation de nourriture et de sommeil.
Une lettre écrite, de France et publiée en
Hollande fait le récit suivant : « On lie, on garotte
père, mère, femme, enfants ; quatre soldats gardent la porte
pour empêcher que personne n’y puisse entrer pour les secourir ou
les consoler, on les tient en cet état deux, trois, quatre, cinq et
six jours sans manger, sans boire, et sans, dormir ; l’enfant
crie d’un côté, d’une voix mourante : ah ! mon père,
ah ! ma mère, je n’en puis plus ! La femme crie de
l’autre part : hélas ! le cœur me va faillir, et leurs
bourreaux, bien loin d’en être touchés, en prennent l’occasion de
les presser et de les tourmenter encore davantage, les effrayant
par leurs menaces, accompagnées de jurements exécrables… Ainsi ces
misérables, ne pouvant ni vivre ni mourir, p
arce que lorsqu’on
les a vus défaillir on leur a donné à manger seulement ce qu’il
fallait pour les soutenir
, et ne voyant point d’autre voie
pour sortir de cet enfer où ils étaient incessamment tourmentés,
ont plié enfin sous le poids de tant de peines. »
Partout, du reste, les soldats avaient fini
par reconnaître que la torture la plus efficace pour faire céder
les plus obstinés, c’était la privation de sommeil, l’insomnie
prolongée, à l’aide de laquelle les dompteurs viennent à bout des
fauves. Les soldats, se relayant d’heure en heure, nuit et jour,
auprès d’un patient, l’empêchaient de prendre le moindre repos, le
tiraillant, le pinçant, le piquant, lui jetant de l’eau au visage,
le suspendant par les
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