Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
loi sur les relaps, à faire des actes de
catholicité dont il avait horreur.
« C’était là la doctrine, dit Rulhières,
qui devint presque générale dans le clergé et fut avouée, discutée,
approfondie par de célèbres évêques dont nous avons recouvré les
mémoires. » Quant aux malheureux à qui, dans un moment de
souffrance, on avait fait renier des lèvres la religion à laquelle
ils restaient attachés au fond du cœur, plusieurs moururent de
désespoir, d’autres devinrent fous. Quelques-uns se dénoncèrent
eux-mêmes comme relaps et se firent attacher à la chaîne des
galériens. « On en voyait, dit Élie Benoît, qui se jetaient
par terre dans les chemins, criant miséricorde, se battaient la
poitrine, s’arrachaient les cheveux, fondaient en larmes. Quand
deux personnes de ces misérables convertis se rencontraient, quand
l’un, voyait l’autre aux pieds d’une image, ou dans un autre acte
de catholicité, les cris redoublaient. »
On ne peut rien imaginer de plus touchant que
les reproches des femmes à leurs maris et des, maris à leurs femmes
accusait l’autre de sa faiblesse et le rendait responsable de son
malheur. La vue des enfants était un supplice continuel pour les
pères et les mères qui se reprochaient la perte de ces âmes
innocentes. Le laboureur, abandonné à ses réflexions au milieu de
son travail, se sentait pressé de remords, et, quittant sa charrue
au milieu de son champ, se jetait à genoux, demandait pardon,
prenait à témoin qu’il n’avait obéi qu’à la violence. « Un
jour que j’étais à la campagne (dit Pierre de Bury, au juge qui lui
objecte qu’ayant abjuré il n’a pas le droit de se dire huguenot),
duquel jour je ne me souviens pas,
je pleurai tant que mon
abjuration se trouva rompue
. » Vingt-et-un nouveaux
convertis parviennent à s’embarquer sur le navire qui emportait
Beringhen, expulsé du royaume comme opiniâtre. « Après la
bénédiction du pasteur, dit Beringhen, ils s’embrassèrent les uns
les autres s’entredemandant pardon du scandale qu’ils s’étaient
donné réciproquement par leur apostasie. »
Tous ceux qui, après avoir abjuré, pouvaient
passer la frontière, se faisaient, après pénitence publique,
réintégrer dans la communion des fidèles.
À Londres le consistoire de l’Église française
se réunissait tous les huit jours pour réintégrer dans la
confession protestante les fugitifs qui avaient abjuré en France.
Le premier dimanche de mai 1686, il réhabilita ainsi cent quatorze
fugitifs et dans le mois de mai 1687 on ne compte pas moins de
quatre cent quatre-vingt-dix-sept de ces réintégrations dans la
communion protestante.
Chambrun se fit ainsi réhabiliter, mais il ne
se consola jamais du moment de défaillance qui lui avait fait, au
milieu des souffrances, renier sa foi. Un autre pasteur, Molines,
avait abjuré au pied de l’échafaud. Pendant trente années on le vit
en Hollande errer comme une ombre ; l’air défait, le visage
portant l’empreinte du désespoir. « On ne pouvait, dit une
relation, le rencontrer sans se sentir ému de pitié, son attitude
exprimait l’affaissement, sa tête pendait de tout son poids sur sa
poitrine et ses mains restaient pendantes. »
Pour faire revivre devant les yeux des
lecteurs de ce travail, l’abominable jacquerie militaire qui a reçu
le nom de dragonnades, il a fallu entrer dans des détails navrants,
de nature à blesser peut-être quelques délicatesses, mais ces
détails étaient nécessaires pour fixer dans les esprits l’exécrable
souvenir qui doit rester attaché à la mémoire de Louis XIV et de
ses coopérateurs clercs ou laïques.
Les habiles pères jésuites qui composent les
livres dans lesquels ils accommodent à leur façon, l’histoire que
doivent apprendre les élèves de leurs écoles libres, comprennent
bien qu’il est dangereux pour leur cause, de soulever le voile qui
couvre ce sujet délicat.
Ils ne craignent pas de donner leur
approbation à la révocation, de l’édit de Nantes, lequel
établissait une sorte d’égalité entre le protestantisme et le
catholicisme, entre le mensonge et l’erreur ; mais à peine
prononcent-ils le mot de
dragonnades
, et ils se bornent à
émettre le regret que Louvois ait exécuté avec trop de rigueur le
plan conçu par Louis XIV pour ramener son royaume à l’unité
religieuse.
Mais les Loriquet cléricaux qui écrivent pour
le grand public sont plus audacieux, ils
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