Les joyaux de la sorcière
si je ris, c’est de joie en voyant se réaliser mon espoir d’attirer l’attention d’un expert sur ce que j’ai peint. Et que cet expert soit vous ! C’est un vrai bonheur ! Un soulagement aussi !
— Pourquoi ?
— Je vous le dirai après. Que vouliez-vous savoir ?
— Ce que votre modèle a fait des joyaux qu’elle porte. Je ne parle pas du collier-de-chien mais de la croix et des pendants d’oreilles de Bianca Capello !
— Vous les avez identifiés ? Bravo !… Mais de vous cela ne m’étonne pas.
— Ce n’est pas moi qui les ai reconnus : c’est Lisa. Elle s’est souvenue d’un portrait qui se trouve à Venise. Mais si je comprends bien, vous les connaissez ?
— Oui. Je les connaissais avant de les peindre.
— Alors vous devez savoir comment ils sont venus en la possession de Madame d’Ostel ?
Le sourire de Boldini l’apparenta un instant à un faune :
— Mais elle ne les a jamais possédés, dit-il doucement.
— Quoi ?
— Vous avez parfaitement entendu. Ils n’ont jamais été à elle. En réalité la première fois qu’elle les a vus c’était sur son portrait. Elle en a d’ailleurs été enchantée.
Aldo s’était levé pour aller regarder sous le nez le cardinal du Bernin. Il se retourna, sourcils froncés :
— Vous vous moquez, Maître ?
— Absolument pas ! J’ajoute qu’à votre place je réagirais de la même façon. Nous sommes italiens tous les deux et Ferrare n’est pas si loin de Venise. Cela dit, laissez Médicis tranquille et venez vous rasseoir ! Vous êtes trop grand et vous me donnez le vertige !… Là, voilà qui est mieux ! ajouta-t-il quand Morosini eut obtempéré. J’ai une histoire à vous raconter et j’espère qu’elle vous intéressera…
— Avec un préambule pareil le contraire m’étonnerait. Allez-y !
— Bon ? Je commence par Olympia Cavalcanti, autrement dit Madame d’Ostel. Elle était de Ferrare comme moi et quand nous étions enfants tous les deux nous habitions la même rue. Nous nous sommes retrouvés plus tard, elle devenue célèbre et moi aussi. Elle était extrêmement belle vous savez…
— Ça se voit sur son portrait. Quand l’avez-vous peint ?
— Il y a environ trois ans. J’ajoute qu’il y a longtemps que je souhaitais le peindre – nous étions alors assez proches ! – mais elle n’en avait jamais le loisir et nous nous sommes perdus de vue. Jusqu’à ce jour où elle est venue me demander d’exécuter enfin son portrait. Je vous l’avoue, j’ai hésité…
— Parce qu’elle avait vieilli et que vous aimez seulement la jeunesse ?
— Un peu, oui, cependant elle gardait de beaux restes, de l’allure et une personnalité agressive qui a tenté mon pinceau. Surtout quand elle m’a dit qu’elle souhaitait être représentée avec des bijoux magnifiques tels que son beau temps et son mariage ne lui avaient jamais permis d’en posséder. J’ai cru d’abord qu’elle désirait, à sa mort, laisser d’elle-même une image fabuleuse, idéalisée en quelque sorte par la magie des pierres.
— … et ce n’était pas le cas ?
— Non. Je ne l’ai pas su tout de suite mais elle a fini par m’apprendre qu’elle avait pour héritier un neveu qu’elle détestait d’autant plus que, marié avec une charmante jeune femme, il ne la rendait guère heureuse. Elle avait donc décidé de léguer à cet homme son portrait et ses bijoux à condition que ces derniers soient remis à sa femme. En fait il s’agissait de faire enrager le bonhomme : « Je sais, m’a-t-elle dit, que Violaine sera heureuse de porter ce que je laisse en réalité mais lui fera, je l’espère, une jaunisse fatale ou un transport au cerveau. Harpagon est un enfant de chœur à côté de lui et il remuera ciel et terre pour savoir où ont bien pu passer les merveilles disparues. » C’est alors que j’ai accepté…
— N’était-ce pas risquer d’accroître les difficultés de Violaine ?
— Non, parce que si elle venait à disparaître sans enfants, les bijoux iraient à une fondation charitable.
— Autrement dit, elle n’a pas le droit de s’en défaire ? Par conséquent le sieur Dostel m’a menti… et peut-être aussi le notaire ! Mais poursuivez !
— J’ai accepté mais j’ai changé en quelque sorte mon fusil d’épaule. En effet j’avais prévu de doter ma toile d’une parure de rubis et de diamants comme on me le demandait mais j’ai pensé
Weitere Kostenlose Bücher