Les joyaux de la sorcière
pas en plein jour avec des pièces pareilles. Même dans sa voiture.
— Bon ! Laissons cela pour le moment ! En sortant d’ici je vais aller interroger le peintre. C’est un ami de longue date, mais j’ai encore une question. Sauriez-vous d’où ou de qui Madame d’Ostel tenait cette parure ?
— Oui. Elle me l’a dit : d’un admirateur au temps où elle chantait sur les scènes d’opéras européens.
— Singulièrement généreux alors !… Elle ne s’est jamais produite en Amérique ?
— Non. Elle redoutait la mer après avoir failli périr d’une tempête en traversant seulement le Pas-de-Calais. Alors l’Atlantique !…
— Elle était italienne, m’a-t-on dit ?
— Oui. De Ferrare.
— Comme Boldini ! C’est curieux… eh bien maître j’ai assez abusé de votre temps !
— Absolument pas ! C’est un plaisir de parler avec vous ! Si je vous ai compris, vous souhaitez faire quelques recherches ?
— Que feriez-vous à ma place ? C’est une énigme comme je les aime… sourit Morosini.
— En ce cas je vous souhaite sincèrement de la résoudre… et si j’osais…
— Il faut toujours oser !
— Non, c’est inutile ! Pardonnez-moi ! Si vous les trouvez les journaux ne manqueraient pas d’en emplir leurs colonnes…
— … à moins qu’ils ignorent tout ! Mais rassurez-vous ! Si la chance me sourit, je vous le ferai savoir. En échange, essayez de surveiller un peu Evrard Dostel ! Il a promis de ne rien vendre du petit héritage de sa femme tant qu’il n’aura pas de mes nouvelles mais je n’ai aucune confiance en lui !
— Moi non plus ! En revanche, elle est touchante. Je ferai de mon mieux…
Le grand peintre habitait, au 41 boulevard Berthier, une maison rose dont l’atelier tenait l’étage supérieur. Comme chez ses voisins, ce quartier repris sur les anciennes fortifications de Paris réunissait une colonie d’artistes variés allant d’autres peintres à la chanteuse Yvette Guilbert. Morosini ne venait pas pour la première fois mais pensa qu’il était voué ce jour-là aux lignes du chemin de fer, celle de Paris-Saint-Lazare crachant ses escarbilles à proximité. Boldini y habitait depuis des dizaines d’années et les plus jolies femmes du monde étaient venues poser derrière ses grandes verrières qui ne laissaient passer que la lumière du ciel.
En habitué, Morosini grimpa les marches menant à la porte, sonna et attendit. Au bout d’un moment, une fenêtre s’ouvrit livrant une tête d’homme coiffée d’une casquette, le nez chaussé de lunettes rondes. Une tête qui grogna :
— Qui est-ce ?
Puis, comme Aldo ôtait son chapeau en s’écartant de la maison :
— Oh !… Mais quelle bonne surprise !… Morosini ?
— Oui, Maître. C’est bien moi !
— Attendez ! Je descends vous ouvrir ! Ma domestique est en courses.
Un instant plus tard, la porte révélait un petit homme trapu, âgé, qui au premier regard ressemblait assez à un bouledogue mais on découvrait vite, en dépit des rides et de la moustache clairsemée, le profil resté fier, la bouche dédaigneuse et bien dessinée, le nez droit, l’œil… l’œil seul avait perdu de sa chaude couleur brune et se ternissait mais à cet instant le visage rayonnait. Le peintre embrassa son visiteur avec sa fougue italienne et s’écria :
— C’est mon cœur, je crois, qui vous a reconnu, parce que ma vue, elle, n’est plus fameuse. Cela tient peut-être à ce que je pensais à vous…
— En voilà un honneur inattendu ! Auriez-vous aussi le don de double vue ?
— Une bonne vue simple me suffirait ! Je vous espérais un peu, je crois… mais je vous dirai pourquoi plus tard. Il y a longtemps que vous n’êtes venu me voir !
— Cela doit bien faire trois ou quatre ans. J’aurais aimé venir l’an passé mais…
— Vous étiez fort occupé. Les journaux m’ont appris vos démêlés avec les Russes, la perle de Napoléon, etc.
L’appartement du rez-de-chaussée où vivait le peintre comportait peu de pièces : une salle à manger, sa chambre mais l’ensemble respirait la gaieté. Outre les toiles et les dessins qui décoraient les murs un peu partout, il y avait beaucoup de fleurs. Des roses surtout dont le parfum emplissait l’air mais le léger désordre dont Aldo conservait le souvenir avait considérablement régressé.
— On dirait que votre domestique est parfaite ! fit Aldo.
— Elle n’est
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