Les joyaux de la sorcière
d’Urbino par le Titien. À côté de lui une table de petit déjeuner était servie et l’odeur familière du café italien vint chatouiller agréablement ses narines cependant que son hôte forcé se levait pour l’accueillir :
— Sincèrement heureux de vous voir, mon cher prince ! Croyez que je regrette profondément d’avoir employé un moyen un peu radical pour avoir la joie de votre présence mais j’étais certain que vous n’accepteriez pas une invitation régulière. Les faits m’ont donné raison puisque vous aviez choisi de rejoindre ma fiancée de préférence à moi.
— C’est à votre demande qu’elle m’a donné ce rendez-vous en forme de piège ?
— Non je dirais même que c’est le contraire. L’idée vient d’elle. Mais asseyez-vous et prenons ensemble ce petit déjeuner.
Aldo s’assit et faillit refuser la seconde proposition mais ayant mangé la veille le pain de son ennemi, refuser son café eût été ridicule. Et il en avait besoin. Il accepta donc une tasse de son breuvage préféré puis une autre accompagnée de toasts beurrés tandis que Ricci, sans plus sonner mot, entreprenait de faire disparaître ce qu’il y avait sur la table. Il dévora littéralement sous l’œil vaguement dégoûté de son invité forcé qui à cet instant aurait vendu son âme pour une cigarette. Mais soudain, Ricci fouilla dans sa poche et lui tendit par dessus la table l’étui d’or dont il était en train de rêver :
— C’est à vous, je crois ?
— En effet. J’aimerais aussi récupérer mes vêtements.
— Ils sont à New York mais on vous les rendra. Après-demain je me marie et ce que vous portez n’est qu’épisodique. À présent causons ! ajouta-t-il en se carrant dans son fauteuil tandis qu’Aldo tirait une première et voluptueuse bouffée.
— Volontiers ! Surtout si, pour une fois, vous acceptiez de jouer franc jeu.
— Pourquoi me donnerais-je la peine de mentir quand j’ai les cartes en main ? Que voulez-vous savoir ?
— D’abord la raison de ma présence ? Pourquoi m’avoir enlevé ?
— Il fallait que je le fasse et j’y étais décidé avant même que Mary me demande d’intervenir. Voyez-vous, je vous réserve un rôle de premier plan. Vous allez être le témoin… occulte mais d’autant plus important de mon mariage. Cela ne veut pas dire que vous serez à mes côtés pendant les formalités officielles mais plus tard, je vous promets que vous pourrez assister à ce qui se passera… durant la nuit de noces. Vous saurez tout, je vous le promets !
— Après quoi vous me tuerez, je suppose ?
— Vous supposez juste. Ce qui ne veut pas dire que votre rôle sera achevé. Bien au contraire, il se prolongera encore pendant quelque temps.
— Votre discours est pour le moins obscur mais je crois comprendre que vous n’êtes pas disposé à m’en apprendre davantage et je n’insisterai pas. En revanche je voudrais savoir pourquoi… Mary vous a demandé de me capturer en attendant mieux ?
— N’était-ce pas naturel puisque vous êtes son ennemi depuis longtemps ? À ce propos vous avez été imprudent en vous faisant reconnaître d’elle au bal des Belmont ! La connaissiez-vous donc si mal ? Elle est fort vindicative.
— Je n’en ai jamais douté. Pas plus que de sa ruse profonde. Qu’a-t-elle pu vous raconter sur nos relations passées ?
— Mais… à peu près tout je pense. Qu’après avoir causé le désespoir et la mort par suicide de son oncle, le célèbre archéologue sir Percival Clark auquel vous avez volé, pour le compte des Juifs, deux émeraudes d’un prix inestimable, vous l’avez dénoncée, elle, à la Police et fait arrêter. Elle n’a échappé à la corde que grâce à un ami qui l’a aidée à fuir. Après elle a pu trouver refuge en Angleterre chez une cousine qui est la sœur de Mrs Schwob mariée là-bas à un industriel anglais. C’est elle qui lui a conseillé de changer de nom et, quand les Schwob sont venus à Londres, elle a choisi de partir avec eux afin de refaire sa vie en Amérique, loin de vos manigances. Nous nous sommes rencontrés sur le bateau… et vous savez la suite !
— Non, justement, je ne sais pas la suite d’un roman si touchant mais je peux l’imaginer. En me voyant ici, elle a compris que ses efforts pour échapper à ma vindicte étaient inutiles, que j’allais une fois de plus détruire sa vie, la chasser sur les routes du vaste monde et
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