Les "Larmes" De Marie-Antoinette
une serviette en maroquin qu’il avait apportée, en tira une fiasque d’argent et un paquet de café qu’il tendit à Aldo :
— Prends ça, s’il te plaît, et va nous faire un « jus » digne de ce nom ! Celui de cette baraque est imbuvable. C’est fou le nombre de gens qui ignorent cette vérité première : pour faire un bon café, il faut d’abord en acheter un bon.
— C’est presque signé La Palice mais c’est tellement vrai !
L’odeur qui s’éleva quelques minutes plus tard était un réconfort à elle toute seule et faisait honneur au talent de Morosini. Ils en burent chacun deux tasses puis, minuit étant proche, ils allèrent prendre place, Adalbert dans le salon et Aldo sur le lit de Caroline. Chacun d’eux posa son revolver à portée de main ainsi que la petite croix que Plan-Crépin leur avait remise après l’avoir fait bénir à l’église Notre-Dame au salut du soir… Puis, on éteignit les lumières et l’on attendit…
Or il ne se passa rien. Tant et si bien qu’ils finirent par s’endormir et le cri enroué d’un coq dans un poulailler voisin fut le premier bruit qu’ils entendirent. Apercevant un reflet de lumière, Aldo, sans rallumer alla rejoindre Adalbert dans le salon. Il le trouva assis sur son canapé, l’air perplexe et fourrageant à deux mains dans ses cheveux ébouriffés :
— Alors ? fit-il.
— Alors rien ! Chez toi non plus je pense…
— Calme complet. Si je n’avais été témoin de ce qui s’est passé l’autre nuit, je croirais que Caroline a rêvé. Quoique…
— Quoique tu saches aussi bien que moi que ce genre d’aventure peut exister. Mieux que moi puisque tu as eu l’honneur de rencontrer le spectre d’un empereur {9} . Mais peut-être que l’entité qui se manifeste ne vise-t-elle que Caroline ? En gros, il se peut que la maison la rejette tout simplement.
— Ce pourrait être possible ?
— Absolument !… Tiens, le jour commence à se lever. On va aller à la cuisine, tu nous referas du café et pendant ce temps je te raconterai une histoire…
Un moment plus tard tout en tartinant de la confiture d’oranges sur une brioche – apportées par prévoyance ! – Adalbert entamait son récit :
— Un ami de mon père, un avocat célèbre, perdit sa femme. Le deuil lui était cruel parce qu’il l’avait énormément aimée. C’était d’ailleurs une femme charmante ! Mais il perdit du même coup l’envie de vivre en société et en particulier à Paris. D’autant qu’il n’avait pas d’enfants. Il se chercha une retraite, on pourrait presque dire un ermitage pour y vivre dans la paix, le silence et le souvenir. Il dénicha, dans le Perche, un ancien prieuré dont le charme le séduisit. Il y avait beaucoup de travaux à faire aussi ne s’étonna-t-il pas de la modicité du prix demandé, bien que la bâtisse fût inscrite à la liste supplémentaire des Bâtiments historiques. Il entreprit donc des travaux qui lui coûtèrent fort cher car il tenait à ce que chaque détail soit reconstitué à l’identique. Cela ne se fit pas sans peine. Il se produisit nombre d’incidents, plus deux accidents durant la restauration. Au point qu’il fallut doubler les salaires pour convaincre les ouvriers de continuer.
Évidemment, des bruits revenaient à cet homme et aussi des conseils pour faire appel à un exorciste mais il était athée, ne croyait qu’à sa douleur et son besoin de solitude. À la limite, il n’était pas fâché que sa maison eût cette réputation douteuse : au moins personne ne viendrait l’importuner. Pour son plaisir, il fit planter un beau jardin dans le genre de ceux des monastères. Enfin vint le jour où tout fut achevé et où, les derniers objets mis en place, il put fermer sa porte sur le monde extérieur. Il avait à son service depuis longtemps un domestique ramené du Liban qui devait être son seul lien avec la vie extérieure… Le lendemain de son installation, les curieux qui ne manquaient pas tout au long du jour trouvèrent les portes ouvertes. L’ami de mon père était mort dans son lit écrasé par une pierre tombée de la voûte, la seule qui s’en fût détachée. De longues traces noires marquaient les murs de sa chambre comme si le feu les avait léchés. Quant au serviteur, le garde champêtre l’attrapa dans la campagne devenu complètement fou…
— Brrr ! fit Aldo en avalant d’un seul coup le contenu de sa tasse avant de s’en resservir
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