Les "Larmes" De Marie-Antoinette
valait se taire. Le silence n’était-il pas la meilleure façon de recueillir l’écho lointain du temps ?
Il suivit d’abord l’allée des Trianons puis obliqua à droite vers la demeure préférée de la Reine. C’est alors qu’il aperçut Caroline et admira l’harmonie de sa mince silhouette, vêtue d’un petit tailleur grège sur lequel flottait une écharpe azurée, avec les pierres blondes du château. Elle allait à pas lents, ses cheveux soyeux répandus sur ses épaules au mépris des modes et Aldo regretta l’ampleur des robes à paniers même si la jupe courte laissait voir des jambes ravissantes…
Elle se retourna instinctivement en l’entendant approcher et, pour la première fois, lui offrit un sourire spontané :
— Je savais que vous étiez rentré : j’ai vu la voiture devant l’hôtel. Cela m’a soulagée car j’étais vraiment inquiète.
— De quoi, mon Dieu ?
— De ce que la maison pouvait vous faire. Il lui arrive d’être… insupportable.
Le sourire s’était effacé, remplacé par une crispation des lèvres correspondant à un frisson. Sans qu’elle fît un geste pour l’en empêcher, Aldo prit sa main et lui baisa les doigts :
— Comme l’autre nuit où vous vous étiez réfugiée sous votre parapluie ? Eh bien, celle que nous venons de vivre, Vidal-Pellicorne et moi, a été fort calme.
— Vrai ?… Il ne s’est rien passé ?
— Rien… ou si anodin ! Je m’étais installé dans votre chambre et pour éviter l’œil de granit de dame Florinde, j’avais décroché et posé sur le sol le portrait retourné contre le mur. Je vous l’avoue avec un brin de honte, j’ai dormi comme un ange sur votre lit. Votre parfum s’y attardait. Il m’a gardé des mauvais rêves. C’était assez délicieux. Le cauchemar n’est venu qu’avec le jour en m’apercevant que le tableau s’était raccroché tout seul.
— Oh, Seigneur Dieu !…
L’angoisse ternissait à nouveau son regard, donnant à son compagnon une soudaine envie de la prendre dans ses bras pour la rassurer, lui communiquer sa force. Il se contenta de glisser celui de la jeune fille sous le sien et de l’y maintenir de sa main libre :
— Marchons, voulez-vous ? Ici nous sommes trop en vue et j’ai à vous parler.
Elle se laissa emmener comme une petite fille perdue. Sous ses doigts Aldo sentait trembler ceux de Caroline. Elle s’accrocha même plus fort, ce qui les rapprocha d’autant. Sans plus parler, ils laissèrent sur leur gauche le Petit Trianon, contournèrent le lac artificiel pour gravir au milieu des arbres le tertre que couronnait une élégante construction : une coupole supportée par douze colonnes corinthiennes abritant une statue. Il y avait là un banc de pierre blanche sur lequel ils vinrent s’asseoir. Le visage de la jeune fille s’éclaira d’un léger sourire :
— Vous m’avez conduite au temple de l’Amour ? Pourquoi ?
— J’étais perdu dans mes pensées et je ne l’ai pas fait exprès. J’ai aperçu ce banc et vous y ai menée sans réfléchir. Cela vous ennuie ?
— Absolument pas ! Je trouve même… que l’on est bien ici, ajouta-t-elle en respirant l’air ensoleillé.
— J’en suis heureux. Cela va m’aider à vous dire la suite, Caroline. Vous me permettez de vous appeler ainsi ?
Elle approuva de la tête et il poursuivit :
— Caroline, même si cela vous paraît difficile, il faut que vous quittiez cette maison !
— Quelle idée ! Elle traverse une période difficile, sans plus et je me reproche déjà d’avoir cédé à un moment de panique.
— Ô combien normal ! Ne vous illusionnez pas, jeune fille, cette maison est dangereuse…
— Vous exagérez ! Ne venez-vous pas de me dire que vous y aviez fort bien dormi ?
— Nous n’étions que de passage et elle le sait. Ce qui ne fait que renforcer ma conviction – je devrais dire notre conviction car Adalbert pense comme moi ! – que vous ne pouvez continuer à y vivre. Vous risquez d’y devenir folle… ou pire peut-être.
— Je ne vois pas ce qui pourrait être pire…
— La mort. À votre âge ce serait du gâchis…
— Je répète que vous exagérez et je regrette à présent de vous avoir appelé à mon secours. Regardez les choses en face si je quitte « ma » maison, c’est toute mon existence qui s’écroule. Je ne vis pas de l’air du temps mais de mon travail.
— Et vous ne pouvez donner des leçons de piano
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